SENTIER D'AUTOMNE
J e n'ai que ce rêve à vous offrir : descendre dans le paysage. Vers le réel trouver passage par les ornières et les bourbiers, les ronces, les haies, les branches basses, l'arbre au travers du chemin. Par les talus, les ravins, les fossés.
Trouver passage par le crachin, le vent, l'orage aussi. Par ce qui mouille, essouffle et griffe, surprend, se défend, se dérobe ou promet.
Trouver passage par les odeurs d'humus et le chemin frayé dans le parfum des baies. Par la brume flâneuse et le soleil frileux, la clairière surprise à son bain de lumière, l'envol d'un cri dans le fourré voisin.
C'est un rêve modeste qui s'incarne dans le froissement d'aller, si près de la caresse, le bois qui craque sous le pied, la feuille tombée dans le trou d'eau d'un pas.
Je n'ai que ce sentier d'automne à vous ouvrir à travers tant de vacillements et d'immobilité. Il passe par la source discrète, aux lèvres martelées sous le sabot des bêtes. Par la souche et l'écorce, l'acacia vermoulu des clôtures oubliées, l'escargot, la limace, l'étonnement de l'effraie.
Il passe par la main qui tâtonne aussi, le pied qui se risque, le geste qui épouse, par la pente et la faille, le détour et la halte. Par le vertige, la fatigue et la faim.
Et par le corps engagé dans le bois tendre du monde comme un coin.
Il passe par le vieux Pan sommeillant en tout marcheur frustré.
Pour descendre dans le paysage, vers le réel trouver passage, je n'ai rien à vous offrir d'autre que l'étreinte d'un sentier.
Seilh, octobre 1992. Michel Baglin, L'Obscur Vertige des vivants et autres approches, éditions L'herbe qui tremble, 2019, pp. 57-58.