''Maîtresse d'esthètes'' sort des ateliers de Willy ( le mari de Colette) ; et fut écrit par Jean de Tinan ; ce texte emblématique de '' la décadence'', est publié en 1897. Ce devait être un roman à clefs, appuyée par la documentation d'une correspondance intime donnée à Willy par le sculpteur Fix-Masseau ( qui devient Franz Brotteaux, dans le roman) ... On y retrouve décrit les milieux littéraires et artistiques du Symbolisme: le théâtre de l'Œuvre, le Mercure de France, le Sâr Péladan, Colette, Willy lui-même...
Ysolde, éprise d'Art et de Beauté, vampirise un sculpteur épuisé : " je suis la destructrive sorcière, la goule qui suce le sang des artistes, la stryge irrassasiable. (...) Ce que je veux, Moi, c'est qu'ils fassent avec ma Beauté de belles œuvres ".
Ysolde Vouillard : " Wagnérienne, Esotérique, Néo-Platonicienne, Occultiste, Androgyne, Primitive, Baudelairienne, Morbide, - Nietzschienne même lorsqu'elle éternue " : c'est l'aventure de Mina Schrader avec le sculpteur Fix-Masseau, qui servit de trame à Jean de Tinan. Mina est une amoureuse d'art et d'artistes... Elle se dit sculpteur, et sera internée ( comme anarchiste) pour avoir tiré des coups de revolver sur le député et industriel Lazare Weiller.
Jean de Tinan
Mina Schrader
Jean de Tinan (1874-1898), passionné de sciences, est plus encore attiré par les lettres ; il commence par écrire pour des revues symbolistes. Il confie à son journal : " Je veux vivre intensément parce que je dois mourir jeune ". Il écrit sur ses nombreuses amantes... Il sera aussi l'amant éperdu de la femme que Louÿs aime depuis toujours, Marie, la fille de José-Maria de Heredia, qui a épousé Henri de Régnier. Il alterne entre la quête de l'"amour fou" et le constat de "l'impuissance d'aimer"...
Il meurt à 24ans.
Robert de MontesquiouRobert de Montesquiou-Feznsac (1855-1921).
Dès 1875, il fréquente le monde, et les artistes et écrivains comme Mallarmé, Huysmans et Goncourt entre autres. Mondain, dandy, décadent, esthète, collectionneur, homosexuel, passionné d'art.. Il excelle en poésie : Un recueil de 163 poèmes : Les Chauves-souris, entraînera de la part de Mirbeau un article élogieux, en octobre 1892.
Il recherche les sensations rares et raffinées, il se grise de parfums, il organise de grandes fêtes qu'il met en scène lui-même...
Marcel Proust (22ans) et Robert de Montesquiou (37ans) se rencontrent chez Madeleine Lemaire le 13 avril 1893. Robert est d'une lignée qui appartient à l'histoire de France, ce que Marcel admire ; de plus il est poète ami de Verlaine et de Mallarmé... Conteur, il sait développer des anecdotes en magnifiques histoires...
" Montesquiou invitait fort peu et fort bien, tout le meilleur et le plus grand, mais pas toujours les mêmes, et à dessein, car il jouait fort au roi, avec des faveurs et des disgrâces jusqu'à l'injustice à en crier, mais tout cela soutenu par un mérite si reconnu, qu'on le lui passait [...]. " Proust
Comtesse de GreffulheProust demandera à Montesquiou de lui " montrer quelques-unes de ces amies au milieu desquelles on l'évoque le plus souvent "... Le 1er juillet, chez la princesse de Wagram, Marcel aperçoit la Comtesse de Greffulhe pour la première fois... Marcel Proust lui écrit pour le remercier et lui faire part de son émotion : " Elle portait, une coiffure d'une grâce polynésienne, et des orchidées mauves descendaient jusqu'à sa nuque (...) Elle est difficile à juger (..). Mais tout le mystère de sa beauté est dans l'éclat, dans l'énigme surtout de ses yeux. Je n'ai jamais vu une femme aussi belle. "
Montesquiou s'est bien sûr reconnu en Charlus ; même si Marcel lui signale que le baron Doazan entre également en composition du personnage.
On le prétend aussi le modèle de Des Esseintes, dans A rebours, de Joris-Karl Huysmans; on le voit aussi dans Monsieur de Phocas de Jean Lorrain et Chantecler d'Edmond Rostand.
Il goûte le "plaisir aristocratique de déplaire" ( selon l'expression de Baudelaire). Sarah Bernhardt, Ida Rubinstein sont ses amies... Il vit avec Gabriel Yturri, son secrétaire, de 1885 à la mort de celui-ci en 1905.
Jean Lorrain, Boldini, Kate Moore, Madeleine Lemaire, Montesquiou, Jean-Louis Forain et Yturri" Une impression singulière, plus encore que pénible, est celle qui consiste à s'apercevoir tout d'un coup, brusquement, sans crier gare, sans presque l'avoir vu venir, que sa vie est finie. On est là, plus ou moins physiquement délabré, ou encore résistant, ses facultés, en apparence intactes, mais inadaptées au goût du jour, on se sent désaffecté, étranger à la civilisation contemporaine que l'on a quelquefois devancée, mais dont les manifestations actuelles blessent et choquent moins qu'elles ne paraissent vaines." Les Mémoires du comte Robert de Montesquiou : ( ''Là résonnent des voix d'outre-tombe et défile le " bal de têtes " des idoles d'une Belle Epoque crépusculaire'', selon l'éditeur) ..
Dans les cent dernières pages du Temps retrouvé, le Narrateur est frappé, lors d'une réception chez les Guermantes, par le vieillissement brutal des personnages qu'il a connus, et l'influence considérable que le temps a eue sur leur corps.
" le plus fier visage, le torse le plus cambré n'était plus qu'une loque en bouillie, agitée de-ci de-là. À peine, en se rappelant certains sourires de M. d'Argencourt qui jadis tempéraient parfois un instant sa hauteur, pouvait-on comprendre que la possibilité de ce sourire de vieux marchand d'habits ramolli existât dans le gentleman correct d'autrefois. " " J'eus un fou rire devant ce sublime gaga, aussi émollié dans sa bénévole caricature de lui-même que l'était, dans la manière tragique, M. de Charlus foudroyé et poli. " " Mme de Forcheville avait l'air d'une rose stérilisée. Je lui dis bonjour, elle chercha quelque temps mon nom sur mon visage.. ""Et pourtant de même que ses yeux avaient l'air de me regarder d'un rivage lointain, sa voix était triste, presque suppliante, comme celle des morts dans l'Odyssée. Odette eût pu jouer encore. (...)" Marcel Proust