Comme tout le monde, je suppose, je suis pris parfois de frénésie de rangement ; l'abondance des choses à ranger, la quasi- impossibilité de les distribuer selon des critères vraiment satisfaisants font que je n'en viens jamais à bout, que je m'arrête à des rangements provisoires et flous, à peine plus efficaces que l'anarchie initiale."
Georges Perec, Penser/Classer, Seuil, 2003.
Comme Perec, je suis parfois pris (parfois est le bon adverbe, cela ne m'arrive pas si souvent que ça) d'une frénésie de rangement. Tout dernièrement, une petite bibliothèque en a fait les frais. Elle ne renfermait pratiquement que des Folio/Gallimard (ce qui lui donne donc une tonalité blanche avec des nuances tirant jusqu'à l'ivoire et le jaunasse), en grand désordre. Je lui ai bêtement appliqué l'ordre alphabétique, rien de révolutionnaire. Ce genre d'exercice a surtout pour mérite de rediriger votre attention sur des livres jusque-là, pour une raison ou pour une autre, négligés. Je me suis ainsi penché sur une poignée d'Albert Camus. Il y avait là La Peste, que j'avais lu très tôt, au collège (sans jamais y déceler, soit dit en passant, l'analogie au nazisme que l'auteur y avait sciemment glissé), mais aussi des essais et des nouvelles que je n'avais jamais ouverts. Je savais qu'un jour prochain il me faudrait y revenir.
Le 8 janvier, au même rond-point de l'avenue Marcel Lemoine où j'avais déjà consigné une avalanche de plaques d'immatriculation portant des 6 (cf. Six parmi six millions), je vois un 4866 suivre un 066, ce qui en soi n'est pas extraordinaire, sauf que cela réactive en moi une rumination sur la valeur du 6, et que, empruntant, sitôt ces deux voitures passées, l'avenue Gédéon Duchâteau, je m'aperçois très vite que je roule cette fois derrière un 666.
J'ai vite fait d'interpréter ça comme un rappel : il me faut revenir à la lecture des Disparus, le récit de Daniel Mendelsohn vers qui m'avait orienté la première rafale de 6 du mois de septembre. Je l'avais interrompu le 7 octobre, et repris sporadiquement depuis janvier. Il ne fallait plus tergiverser, c'est du moins ce que je projetais d'y comprendre. Le soir même, je suis pleinement de retour dans le livre.
Or, je débouche vite sur le chapitre 1 de la quatrième partie, qui s'intitule La Terre promise (été). Mon sang ne fait qu'un tour : parmi les quatre Camus bien rangés maintenant dans la bibliothèque blanche, il y avait justement L'été, que je n'avais jamais lu, essai publié pour la première fois en 1954.
Ce n'est que le lendemain que je prends conscience de ce jeu numérique : Albert Camus est mort dans un accident de voiture le 4 janvier 1960, l'année de ma naissance (mais à cette date, je n'étais pas encore conçu), et l'on commémore donc les soixante ans de cette disparition. 1960, 60 ans, les voilà mes 6.