Le ressort intérieur, contre le global warming

Publié le 30 janvier 2020 par Dcmky

Je viens de terminer 'Anna Karénine'. Dans mon exemplaire de la Pléïade, c'est 'Résurrection' qui lui fait suite. Dont je découvre, comme un électro-choc, les premières lignes dans la traduction d'Edouard Beaux:

' Les quelques centaines de milliers d'êtres humains qui s'étaient rassemblés sur cet espace étroit avaient beau mutiler la terre sur laquelle ils s'entassaient; ils avaient beau écraser ce sol sous des blocs de pierre afin que rien n'y pût germer, arracher toute herbe qui commençait à poindre, enfumer l'air de pétrole et de charbon, tailler les arbres, chasser bêtes et oiseaux, le printemps était toujours le printemps, même dans la ville. Le soleil était chaud. Vivifiée, l'herbe poussait et verdoyait partout où elle n'avait pas été raclée, non seulement sur les pelouses des boulevards, mais encore entre les pavés des rues; les bouleaux, peupliers, merisiers déployaient leurs feuilles parfumées et gluantes, les tilleuls gonflaient leurs bourgeons prêts à éclater; les corneilles, les moineaux, les pigeons, suivant la coutume du printemps, construisaient gaiement leurs nids, et les mouches, réchauffées par le soleil, bourdonnaient sur les murs. Tout était en liesse: plantes, oiseaux, insectes, enfants. Mais les hommes, les grands, les adultes, ne cessaient de se tromper et de se tourmenter les uns les autres. Ce qu'ils considéraient comme important, ce n'était ni cette matinée de printemps, ni cette beauté de l'univers que Dieu accorde à tous les êtres pour leur bonheur - beauté qui invitait à la paix, à l'union, à l'amour: non, pour eux, ce qui était important et sacré, c'était ce qu'ils avaient eux-mêmes imaginé pour dominer leur prochain.'

Le roman de Tolstoï a été écrit en 1898. Comme les choses ont changé en 120 ans! Il aura suffi de 120 ans.

Il ne faut pas rêver: l'avidité, la rapacité, l'ennui étaient déjà là évidemment, en 1898, dans l'esprit des hommes, mais leur capacité de nuisance n'avait pas encore été augmentée au delà de toute proportion: en somme, fort heureusement, ils n'avaient pas les moyens.

Maintenant, c'est chose faite.

Folie furieuse des business-men pris dans une agitation absurde qui, du matin au soir, répandent aux quatre coins de la planète un sillage de kérosène pour rejoindre au plus vite de vaines réunions afin de bâtir de vaines fortunes. Quitte à brûler la terre, à plastifier la mer, à empoisonner l'air - il s'agit simplement de s'occuper et de se distraire par quelque comédie de pouvoir, affirmation d'ego sous un ciel métaphysiquement vide...

Juste l'ennui, anti-ressort fondamental...

Laissez-les un moment sans avion à prendre, sans vacances à organiser, sans la perspective de quelque agitation moléculaire... Il faut qu'ils bougent, qu'ils remuent, ils ne peuvent pas rester en place et, chaque fois la planète trinque... Et vingt, trente fois par an - jusqu'à cent fois par an pour les plus graves - ils prennent l'avion, le bateau, l'hélico, en quête de vitesse et d'ailleurs. Toujours inlassablement polluant.

C'est tellement triste de voir les enfants de l'an 2000 douter d'avoir un avenir devant eux.

Voilà où nous en sommes.

Penser au manque de sagesse 'all over the world'.

Penser à la grandeur de l'écrivain. Une table, un crayon, une petite lumière...

Il regarde le monde, il les regarde tous à travers le prisme de lui-même, il affronte le vide, courageusement. Par la parole, par le mot, par le 'dit'.

Un écrivain n'a nul besoin de tous ces voyages, de toutes ces comédies de pouvoir.

Un écrivain n'a nul besoin d'une perpétuelle croissance à deux chiffres.

Un écrivain n'a nul besoin de l'objectif de ces trésors toujours grossissants, de ces accumulations dont la perpétuation est la seule fin.

Il a le ressort intérieur.

Penser à Camus. Sa fille Catherine raconte qu'un jour faisant part à son père de son ennui, celui-ci lui répondit simplement:

" Tu as un toit, de quoi manger et des livres, tu as tout. "

Bien sûr qu'il avait raison.

Penser à la sagesse de Tolstoï, à son appétit de dénuement et de non-possession.

Stefan Zweig, Le monde d'hier. Souvenirs d'un Européen')'


En marchant tout à l'heure dans la rue, me vient aux lèvres, sans prévenir, ce petit bout de 'l'Aventurier':

'... Avec l'ami Bill Balantine Sauvé de justesse des crocodiles'

Dans toutes ces histoires de super-héros, voilà bien ce qui au fond n'est pas tolérable: ce 'de justesse'.

Les super-héros sont systématiquement sauvés de justesse. A force de tant défier les lois de la probabilité, cela en devient vraiment déprimant, comme une insulte persistante à l'intelligence.

Je ne peux éprouver ni tendresse véritable ni sympathie pour ce genre de robots toujours artificiellement sauvés de justesse. Des robots? Pas des hommes en tout cas.


Du coup - du coup, mais allez vraiment savoir pourquoi - je me rappelle une phrase de C. qui m'avait, à l'époque où il l'avait prononcée, extraordinairement troublé.

Nous avions vingt ans, et, la soirée s'imprégnant d'un soupçon de nostalgie, nous en étions arrivés à ce point où défilait devant ...

Si on décide par exemple de dénombrer les matrices carrées de taille n comportant exactement deux '1' dans chaque ligne et dans chaque colonne ( avec partout ailleurs des zéros), c'est pour moi un problème neuf. Je n'y ai jamais réfléchi et peut-être même que personne avant moi n'y a réfléchi. Pourtant, on sent qu'il y a des relations à découvrir, on sent qu'il existe des liens originels. Je n'ai pas d'inquiétude: il existe forcément des choses à voir, à remarquer, à prouver. Les relations, les propriétés, les théorèmes concernant ce problème sont là depuis toute éternité comme la momie d'un pharaon dans une tombe restée inviolée: ils nous attendent, ils ne demandent qu'à être cueillis, ils ont été installés pour ainsi dire à l'aplomb de ce sujet avant même la venue sur terre du premier homme. Tout est là depuis toujours, des choses nous attendent dans l'ombre, il suffit de les découvrir. Les mathématiques ne sont pas un grand livre à f...

Je remercie Franck Antunes qui se trouve de fait à l'origine de cet article.

J'ai découvert, ce matin, la page de Franck à la faveur d'un billet qu'il a publié sur Le Club de La Cause Littéraire au sujet de sa lecture de 'John Barleycorn' de Jack London (1913).

Parcourant son mur, je découvre qu'il est fan de Bruce Springsteen, ce qui nous fait un point commun. Voulant me manifester auprès de lui, autrement que par un simple 'j'aime', j'ai écrit la première chose qui m'est passé par l'esprit, à savoir que je lui recommandais la lecture de 'Born To Run' l'autobiographie du Boss. Ce conseil - assez inutile car Franck a l'air d'être un vrai fan - m'a immédiatement fait repenser au grand hêtre pourpre.

Voilà ce que Springsteen en écrit vers la la fin de 'Born To Run', presqu'en guise de conclusion :


' Un soir de novembre, dans la période où j'écrivais ce livre, j'ai pris une fois de plus la voiture ...