La Recherche de Proust, pourrait s'apparenter à la Quête du Graal...
Pour la Recherche, il s'agit de faire le lien entre le présent : celui des actes du quotidien, et l'esprit d'un passé qui refait surface ; pour la Quête c'est retrouver les correspondances avec le mythe, et rejoindre l'Idée du Beau, du Vrai ; et les deux au travers de la littérature...
De plus, c'est au nom de la religion de la Beauté que Proust s'en prend à la ''loi de séparation'', pour défendre les cathédrales ( Le Figaro du 16/08/1904) ; même si c'est ici une religion sans transcendance...
Fantin-Latour, Le Graal, Prélude de Lohengrin - 1892Et surtout, Proust fait référence à Wagner:
« Le rôle du héraut et du roi tout entier, le rêve d'Elsa, l'arrivée du cygne, le chœur du juste, la scène entre les deux femmes, le refalado, le Graal, le départ, le présent du cor, de l'épée et de l'anneau, le prélude, est-ce que tout cela n'est pas beau ? » sur Lohengrin lettre à Reynaldo Hahn (1894) de Trouville)
Le Narrateur de la Recherche serait un ''Perceval'' agnostique, découvrant en début une tasse de thé, qui n'en finit pas de la questionner, échappant aux jeunes ''filles-fleurs'', et qui finalement retrouve le Graal à la faveur de pavés disjoints, ou d'un livre...
Comtesse Greffulhe 1902Encore, c'est le rôle que tient la duchesse de Guermantes : vue dans l'église de Combray, elle apparaît comme dans l'opéra de Wagner : ''Les Maîtres chanteurs de Nuremberg''. Ce serait là l'église Ste Catherine de Nuremberg avec l'entrée solennelle de la duchesse.. Juliette Hassine (Essai sur Proust et Baudelaire) rapproche cette scène de Parsifal : « Pour l'enfant qui attend d'être touché par la grâce du regard de Mme de Guermantes, le spectacle de la duchesse s'avançant dans la sacristie est pour lui une vraie apparition du Graal. »
La duchesse de Guermantes, est selon Proust, une descendante de Geneviève de Brabant, que l'on retrouve chez Wagner ; et … dans les légendes limousines des ancêtres d'Anne-Laure de Sallembier ( c'est ICI...)
C'est aussi, lors de la représentation en 1908 de Tristan und Isolde que Proust, dans sa correspondance, dit admirer pour la première fois, assise dans sa loge, la princesse de Bibesco (1886-1973) qui semble avoir été un des modèles pour la duchesse de Guermantes...
Princesse Bibesco-1911 BoldiniSon salon parisien était fréquenté par Paul Claudel, Georges Clémenceau, Gérard de Nerval, Montesquiou, Anatole France et de nombreuses autres personnalités du beau monde de l'art et de la politique. Proust va la rencontrer lors du bal de L'Intransigeant, le 10 mai 1911, à l'hôtel Carlton .
Dans Au Bal avec Marcel Proust, celle-ci le décrit « livide et barbu, le col de son manteau relevé sur sa cravate blanche, qui avait traîné sa chaise depuis le début de la soirée ».
Emmanuel et Antoine Bibesco furent les voisins du jeune Marcel Proust, boulevard Malesherbes. Ils partageaient un même humour, s’étaient donnés des surnoms, et avaient un goût commun pour les choses de l’esprit. En leur compagnie, Proust fut entraîné au théâtre, dans les salons, au restaurant, en excursion pour visiter les églises en vue de sa traduction de Ruskin. Ils voyagèrent jusqu’en Belgique et en Hollande. La rencontre des Bibesco fut, en outre, pour Proust, l’entrée dans un monde différent du sien.
librairie Lefailler - vitrine-ProustL'objet de la Recherche, c'est le '' Temps retrouvé '', lors d'un éblouissement, d'une félicité...
C'est ce qu'écrit Proust « « je présenterai comme une illumination à la Parsifal la découverte du Temps retrouvé dans les sensations, cuiller, thé etc. » Cahiers Proust
À la fin du Temps retrouvé, la longue séquence intitulée « L’Adoration perpétuelle » emprunte son titre à la liturgie catholique pour désigner la découverte du sens de sa vie et de sa vocation littéraire par le héros. En début de la « matinée » du prince de Guermantes, le narrateur est contraint de faire une halte dans le salon-bibliothèque pour attendre la fin du morceau musical dont l’exécution a commencé avant son arrivée. Il y découvre un livre '' François le Champi ''…
« (...) je sentais que le déclenchement de la vie spirituelle était assez fort en moi maintenant pour pouvoir continuer aussi bien dans le salon, au milieu des invités, que seul dans la bibliothèque ; il me semblait qu’à ce point de vue, même au milieu de cette assistance si nombreuse, je saurais réserver ma solitude. » (Le Temps retrouvé) Et c'est ensuite le passage du « bal de têtes »...
Cristophe Imperiali ( de l'Université de Lausanne) rapproche deux moments du Conte du Graal de Chrétien de Troyes; et de La Recherche du temps perdu de Marcel Proust : d'un côté, l'impérissable scène des gouttes de sang sur la neige; de l'autre, la scène capitale où, dans la bibliothèque des Guermantes, Marcel décide de devenir écrivain.
Cette révélation de la mémoire involontaire et de la fonction qu'elle est appelée à jouer dans l'œuvre d'art à créer, Proust l'appelle, dans ses cahiers, une « illumination à la Parsifal »:
Je cite ci-dessous des extraits de ce texte qui donne la clé de toute ''La Recherche''
(…) il y a un instant j'étais entré dans la cour de l'hôtel de Guermantes, (…) au moment où, me remettant d'aplomb, je posai mon pied sur un pavé qui était un peu moins élevé que le précédent, tout mon découragement s'évanouit devant la même félicité qu'à diverses époques de ma vie m'avaient donnée la vue d'arbres que j'avais cru reconnaître dans une promenade en voiture autour de Balbec, la vue des clochers de Martinville, la saveur d'une madeleine trempée dans une infusion, tant d'autres sensations dont j'ai parlé et que les dernières œuvres de Vinteuil m'avaient paru synthétiser. (…)
(…) je m'efforçais de tâcher de voir clair le plus vite possible dans la nature des plaisirs identiques que je venais, par trois fois en quelques minutes, de ressentir, et ensuite de dégager l'enseignement que je devais en tirer. (..)
(..) Et, au passage, je remarquais qu'il y aurait dans l'oeuvre d'art que je me sentais prêt déjà, sans m'y être consciemment résolu, à entreprendre, de grandes difficultés. (..)
(…) au vrai, l'être qui alors goûtait en moi cette impression la goûtait en ce qu'elle avait de commun dans un jour ancien et maintenant, dans ce qu'elle avait d'extra-temporel, un être qui n'apparaissait que quand, par une de ces identités entre le présent et le passé, il pouvait se trouver dans le seul milieu où il pût vivre, jouir de l'essence des choses, c'est-à-dire en dehors du temps. Cela expliquait que mes inquiétudes au sujet de ma mort eussent cessé au moment où j'avais reconnu, inconsciemment, le goût de la petite madeleine, puisqu'à ce moment-là l'être que j'avais été était un être extra-temporel, par conséquent insoucieux des vicissitudes de l'avenir.
A la recherche du temps perdu (Marcel Proust) - VII : Le Temps Retrouvé III : Matinée chez la princesse de Guermantes. L'Adoration perpétuelle...
Parsifal de Wagner - Bayreuth 1882Dans Le Temps retrouvé, rien n'indique quel est le «morceau» de musique qui se joue dans le salon, au moment où le narrateur médite dans la bibliothèque; mais dans la Matinée chez la Princesse de Guermantes, le morceau était très précisément identifié: il s'agissait du deuxième acte de Parsifal, dont la princesse organisait la première audition parisienne. Or, 1' expression « illumination à la Parsifal » renvoie très évidemment à la révélation vécue par Parsifal dans ce deuxième acte, à travers le baiser de Kundry. Or, c'est précisément par un de ces court-circuits temporels que nous évoquions, que Parsifal est soudain capable de relier l'étreinte de Kundry et la blessure d'Amfortas, c'est-à-dire d'aller chercher très loin l'autre moitié de sa sensation présente pour créer cette conjonction hors du temps qu'évoque Proust.
(…)
Parsifal a intégré instinctivement, par la puissance d'une pure compassion, ce qu'aucun raisonnement intellectuel ne permet de saisir, et il est prêt à entreprendre le chemin qui lui permettra de revenir à Montsalvat, de guérir Amfortas et de rédimer le monde du Graal. C'est donc cela qui se joue dans le salon, au moment même où le narrateur, dans la bibliothèque, reçoit son« illumination à la Parsifal » ... Même si la mention de la pièce jouée dans le salon a disparu du Temps retrouvé, une étude génétique montre bien qu'il n'y a guère de doute à avoir quant à l'influence directe qu'exerce sur ce passage le Parsifal de Wagner.
(...)
Dans le Conte du Graal, c'est immédiatement après cet épisode du sang sur la neige que Perceval accède enfin à la cour d'Arthur, mais, surtout, qu'il s'en écarte aussitôt pour partir en quête du Graal - quête qui ne débute, précisément, qu'à ce moment là.
Sources de cette comparaison : Cristophe Imperiali