Une fête littéraire à Versailles - Le Gaulois 31 Mai 1894 Proust - (Gallica)
En quoi la vie mondaine, contribue t-elle à la Quête ... ? La comtesse Anne-Laure de Sallembier en est persuadée : par exemple, quand elle interroge ses amis sur la place de l'art dans leur vie... Anne-Laure appartient à une société où la place de l'esthétique est prépondérante...
Si l'esthétique s'offre à la sensibilité, elle est destinée à l'esprit : un esprit ouvert à l'Absolu...
L'Art passe par l'humain, et lui offre une prise de conscience de soi ... Et, à cette époque, ce qui est flagrant c'est la tension constante entre le masculin et le féminin...
Exemple mondain: la femme y est sujet et objet de beauté... La sensibilité provoque les cœur et le corps ; mais finalement ce sont l'âme et l'esprit qui s'enrichissent de l'expérience esthétique ...
" Je tiens l'art pour la tâche suprême et l'activité proprement métaphysique de cette vie " Nietzsche (1844-1900) (La Naissance de la tragédie)
Comme nous venons de le voir, la place du vêtement est essentiel dans une soirée mondaine. La femme, alors s'y sent investit d'une mission : la toilette féminine est une œuvre d'art.
" Mme la comtesse Greffuhle, délicieusement habillée : la robe est de soie lilas rosé, semée d'orchidées et recouverte de mousseline de soie de même nuance, le chapeau fleuri d'orchidées et tout entouré de gaze lilas " Proust - dans la revue Le Gaulois et intitulé '' Une fête littéraire à Versailles''
Ce qui gène Anne-Laure, favorisée alors par sa jeunesse et ses traits ; c'est d'être ''objet '', et non ''sujet''...
Cependant ce n'est pas le cas. Marcel Proust fait de l'élégante, une artiste. Il assigne à la femme qui porte le vêtement un rôle de créateur.
" Je me disais que la femme que je voyais de loin marcher, ouvrir son ombrelle, traverser la rue, était, de l'avis des connaisseurs, la plus grande artiste actuelle dans l'art d'accomplir ces mouvements et d'en faire quelque chose de délicieux " Proust À la recherche du temps perdu, La Pléiade, 1987 t. II - Ici la duchesse est une artiste dans l'art d'accomplir des gestes, dans le mouvement du corps...
Mme Swann au bois déploie " le pavillon de soie d'une large ombrelle de la même nuance que l'effeuillaison des pétales de sa robe [...] ayant l'air d'assurance et de calme du créateur qui a accompli son œuvre et ne se soucie plus du reste " Proust À la Recherche du Temps Perdu, La Pléiade, 1987 t. I.
La femme artiste, finit d'âtre assimilée elle-même comme oeuvre d'art. Elle est ''contaminée'' par sa toilette ; cette impression est valorisée par la comparaison d'un tableau : Oriane et son manteau avec un " magnifique rouge Tiepolo " RTP, tome III ; ou Albertine et son manteau de Fortuny qui évoque un tableau de Carpaccio...
" Quand il avait regardé longtemps ce Botticelli, il pensait à son Botticelli à lui qu'il trouvait plus beau encore et, approchant de lui la photographie de Zéphora, il croyait serrer Odette contre son cœur. "
Oui, tout ceci est ''beau'' ; mais ce n'est pas la vie... ! ?
Cette question est fondamentale pour Proust : l'Art réside t-il dans la femme peinte ou dans la femme réelle ... ?
" (...) tout mon argent passait à avoir des chevaux, une automobile, des toilettes pour Albertine. Mais ma chambre ne contenait-elle pas une œuvre d'art plus précieuse que toutes celles-là ? C'était Albertine elle-même. " La Prisonnière, RTP, t. III
La femme comme œuvre d'art... ?... Non... En conclusion :
" Mais non, Albertine n'était nullement pour moi une œuvre d'art. Je savais ce que c'était qu'admirer une femme d'une façon artistique, j'avais connu Swann. "
En 1907, une femme peut s'affirmer comme ''artiste de l'élégance'' et contrer cette tentation (perverse) de l'idolâtrie... Ce qu'il faut admirer, c'est l'artiste en œuvre...
L'art pour Proust éclaircit la vie, la révèle à elle-même :
" La grandeur de l'art véritable, au contraire, de celui que M. de Norpois eût appelé un jeu de dilettante, c'était de retrouver, de ressaisir, de nous faire connaître cette réalité loin de laquelle nous vivons, de laquelle nous nous écartons de plus en plus au fur et à mesure que prend plus d'épaisseur et d'imperméabilité la connaissance conventionnelle que nous lui substituons, cette réalité que nous risquerions fort de mourir sans avoir connue, et qui est tout simplement notre vie." Le temps Retrouvé, RTP, t. IV
M. de Norpois est un diplomate, et son art fait de tact et d'usages, se rapproche de celui de l'écrivain : trouver les bons mots, la bonne formule...
Pour Anne-Laure, la question essentielle de l'Art, trouve une réponse avec la proposition de Marcel Proust :
" (...) le style pour l'écrivain aussi bien que la couleur pour le peintre est une question non de technique, mais de vision. Il est la révélation, qui serait impossible par des moyens directs et conscients de la différence qualitative qu'il y a dans la façon dont nous apparaît le monde, différence qui, s'il n'y avait pas l'art, resterait le secret éternel de chacun. " Proust, Le Temps Retrouvé.
Ainsi l'art permet d'accéder au vrai ; à la vraie vie , qui n'est pas la vie sociale avec ses conventions ; mais la vie intérieure.