Le gluten aux Français

Publié le 25 février 2020 par Legraoully @LeGraoullyOff

« On ne joue pas avec la nourriture ! » Celle-là, on a dû vous la seriner depuis l’enfance, non ? Et de fait, en France, on ne rigole pas avec la bouffe : souvenez-vous du boucan qu’il y avait eu quand on s’était aperçu que les frères Spanghero avaient vendu de la viande de cheval pour du bœuf ; qu’une affaire de tromperie sur la marchandise aussi crapuleuse fasse la une des journaux, en soi, rien d’anormal, mais fallait-il pour autant en faire un motif de psychose et hisser cette banale escroquerie au rang de scandale sanitaire digne de la vache folle ? Et rappelez-vous de la rumeur, encore plus délirante, sur la viande halal, mise sur le marché sans être présentée comme telle et donc vendue à des Français non-musulmans qui auraient ainsi mangé halal sans le savoir : le fait qu’un morceau de viande soit proclamé « halal » par un imam n’a strictement aucune incidence sur la qualité gustative du produit et ne représente absolument aucun danger pour la santé du consommateur, mais la simple idée (de surcroît non vérifiée) que de « bons Français » aient pu consommer une viande destinée à des gens ne consommant ni porc ni vin était manifestement intolérable aux yeux des patriotes imbéciles – un pléonasme, excusez-moi.

Tout ça pour dire qu’en France, contre vent et marées, manger est encore perçu comme un acte civique : suivant ce que vous consommerez à table, votre légitimité à faire partie de la communauté des citoyens français s’en ressentira. Je pensais à cette question en déjeunant avec une amie : pendant son enfance, ses parents considéraient que si elle ne voulait pas manger comme tout le monde, c’était parce qu’elle était capricieuse ; elle avait fini par le penser elle-même, au point de se croire une mauvaise personne sans le vouloir ! Ce n’est qu’après avoir été diagnostiquée sévèrement intolérante au gluten, alors qu’elle était déjà adulte, qu’elle a pu cesser de culpabiliser et de se forcer à ingurgiter des aliments contre lesquels elle n’avait pas d’apriori mais qui la rendaient malade… Pourquoi mon amie a-t-elle été diagnostiquée tardivement pour une intolérance qui, une fois connue, n’est même pas si handicapante en société ? De façon générale, pourquoi détecte-t-on autant d’intolérances au gluten aujourd’hui alors que c’était encore à peine connu au début de ce siècle ? J’ai peine à croire que cela ait pu apparaître du jour au lendemain…

Je pense que vous m’avez déjà compris. Souvenez-vous du scandale qu’avait provoqué Pinoncelli avec son happening anti-pain ; je n’aurais donc pas aimé être à la place du premier médecin français à avoir détecté une allergie au gluten : ce(tte) praticien(ne) a dû se retrouver dans l’inconfortable position du briseur de tabou ! Songez donc : découvrir qu’un(e) Français(e) se trouvait dans l’impossibilité, pour des raisons de santé, de manger du pain, cet aliment de base quasiment sacré, à tel point que la baguette sous le bras est devenu une composante de l’image de marque des Français à l’étranger ! Les bons gros Français bien bovins qui votent Marine et déblatèrent sur les Musulmans qui ne consomment ni pinard ni cochon ne le diront jamais ouvertement, mais je suis sûr qu’au fond d’eux, ils pensent aussi que les Français intolérants au gluten mériteraient d’être déchus de leur nationalité… Bon, ça m’a donné faim d’écrire tout ça, je vais me faire un sandwich.