Joël Dicker au rebond vif et réjouissant !
(Journal du jour)
À la Maison bleue, ce samedi 7 mars. – Lady L. m’apprend ce matin que Joël Dicker à un fils, et la nouvelle me ravit autant que la lecture de son nouveau roman, qui m’apparaît (à mi-pente, après 300 pages) comme un livre d’amour et d’amitié flamboyant et parodique, dans lequel le rire est roi.
Le plaisir immédiat avec lequel j’avais lu, avant publication, l’épreuve reliée de La vérité sur l’affaire Harry Quebert, que Bernard de Fallois m’avait envoyé au printenps 2012 en m’annonçant le roman pas comme les autres d’un jeune auteur genevois alors inconnu, suivi par le plaisir de Lady L. qui l’avait dévoré à son tour, et ensuite la saga « de rêve » du lascar et ma déception, en 2015, à la découverte du Livre des Baltimore, par trop soumis selon moi aux stéréotypes des séries américaines, la relative amélioration qu'il m'avait semblé percevoir dans La disparition de Stephanie Mailer, et le formatage plutôt insipide de l’adapation du premier roman en série « prestigieuse » signée Jean-Jacques Annaud – tout ça m’avait beaucoup intéressé de près, au début, et de plus en plus loin ensuite, comme un phénomène d’époque et sans enjeu à mes yeux; et c’est également de loin que j’avais « vécu » la mort de Bernard de Fallois, ne m’attendant guère à être étonné, après-celle-ci, par l’évolution de son « fils spirituel » devenu aussi célèbre que Roger Federer en moins bien rasé.
Et voici que je ris à tout moment, d’un rire clair et juvénile, frais, pur et gai, en lisant L’énigme de la chambre 622 que nos amis des éditions de Fallois m’ont envoyé, comme j’ai ri l’autre soir en me repassant l’inénarrable épisode de la petite mariée du Cheik Blanc de Fellini qui, désespérée après ce que lui a fait subir l’affreux Alberto Sordi déguisé en cheik de roman-photo, se jette dans le Tibre sans se douter que les eaux de celui-ci sont si basses qu’elles ne noieraient même pas un chatte déprimée – et la voici se traînant toute boueuse et en larmes dans sa gadoue…
AU GRAND HÔTEL. - Bernard de Fallois, lors d’un de ses séjours au Grand Hôtel de Chandolin où il venait rendre visite à notre ami commun Pierre Jean Jouve, durant les dernières années du règne du vieux Léonard Pont (près de vingt ans avant la naissance de Joël Dicker), m’avait dit l’inconditionnelle admiration qu’il vouait au maestro Fellini, guère étonnante à vrai dire chez un proustien passionné de cirque, grand connaisseur du monde des clowns et familier plus discret des parloirs de prisons, entre autres singularités qu’il partageait avec le directeur du Grand Hôtel connu pour son érotomanie et sa familiarité avec les têtes couronnées d’ancienne Europe et la flore alpine avoisinante.
De nos longues veillées automnales sous les châtaigners rutilants d’or et de pourpre du plus haut village d’Europe, Fallois m’avait dit aussi deux ou trois choses non convenues sur le roman à propos de son ami Georges Simenon et de sa passion adolescente pour Autant en emporte le vent que notre fille Sophie a lu trois fois d’affilée entre ses treize et quarotze ans ; et Bernard me l’avait dit alors : qu’un grand roman est un tableau en 3D dans lequel vous vous mouvez comme le Poisson-Lune dans son aquarium – tout cela que je retrouve, en substance et transformation « à la Dicker », dans L’énigme de la chambre 622, le rire en plus !
TABLEAUX. – Ce qu’il y a de très amusant dans ce roman « suisse » de Joël Dicker, c’est que nous y retrouvons un pays, la ville et le jet d’eau de Genève, le parc Byron et l’Hôtel des Bergues, la chemin de Ruth à Cologny où habitait un ami libraire et le café Remor où j’ai bu un café avec Cabu ; et le Palace de Verbier si semblable au Grand Hôtel de Chandolin, et l’appartement cossu de Dicker lui-même voisinant avec les bureaux du richissime homme d’affaires Metin Arditi romancier lui aussi « à ses heures » et plein de malice également - tout cela photographiquement avéré, jusqu’à l’hypperréalisme, et complètement transposé au photoshop du feuilleton de gare ou d’aérogare, alors que l’essentiel du décor, l’air des soirs, le moelleux des moquettes de banques et le menu détaillé de ce que ces bonnes gens bouffent et boivent se fond en tableau traversé par les personnages plus ou moins imposteurs de l’Intrigue construite comme une complication horlogère ou un dessin à la Escher…
On n’est pas chez Tolstoï ni sur le fil de la phrase de Paul Morand ou de Chardonne, mais l’Espace y est, les Tableaux y sont et le feuilleton roule, ma poule, aussi captivant sur le moment que loufoquement invraisemblable, comme dans Tintin, et je n’en suis qu’à la page 309 tandis que Snoopy me regarde de l’air de dire que ça va comme ça…