(Journal du jour)
À La Maison bleue, ce jeudi 5 mars. – La statue fessue du fringant Freddie, tout à côté de la Maison bleue, continue d’être rincée par l’aigre pluie de ce matin après avoir été nettoyée par les employés municipaux qui ont débarrassé son socle des multiples objets du culte, cierges et messages en japonais ou en sabirs mondiaux, qui s’amoncèlent régulièrement au pied de l’idole à dents de lapin dont j’ai découvert l’autre soir maints détails que j’ignorais de sa « vie passionnée » en me passant le DVD de Bohemian Rhapsody, avec des échantillons de ses concerts dont certains moments mélodiques, et autres scies rythmées, ont séduit le vieux rocker en mon tréfonds barbare.
Or, saluant au passage le Champion (We are ze Champions, etc.) avant de poursuivre mon parcours hygiénique (hygiène du chien s’entend) sur le quai dont je n’arrive même plus à atteindre le jardin du Palace, à cinq cents mètres de là, où la statue d’un Nabokov assis semble faire la gueule aux (très) rares pèlerins venus lui rendre hommage, j’ai songé aux vanités et autres vicissitudes de ce bas monde déplorées hier soir par le sinistre cardinal Wolsey, dans la dernière pièce de Shakespeare, tout en invitant le fox Snoopy à faire vite son affaire alors qu’une nouvelle ondée menaçait, portée par le vent des monts dit ici Vaudaire...
ENGLISH GENIUS. – L’histoire du petit Paki bisexuel, musicalement doué et vocalement surdoué, qui défie la stricte morale de son paternel pour s’engager dans une carrière à valeur de revanche aculturée, aurait pu être écrite par son compatriote Hanif Kureishi, dont la porosité psychologique, la conscience sociale hyperlucide et l’écriture à la fois acérée et pleine d’empathie se seraient exercées pour le meilleur, comme dans ces tableaux d’époque exemplaires que sont Le Bouddha de banlieue ou My beautiful laundrette, entre tant d’autres exemples de réalisme lyrique sans préjugés que j’associe au génie anglais dont le Good Will est l’une des inépuisables sources.
Ceci dit, Bohemian Rhapsody me semble bien mieux qu’un sous-produit commercial de bas étage comme il en pullule aujourd’hui, ce que j’attribue là encore à la diffusion de ce génie anglo-saxon très impérgné de denrées coloniales qu’on retrouve autant chez les meilleurs auteurs actuels (de Naipaul le métèque à Martin Amis le voyou-dandy) que chez les scénaristes de tout poil et les acteurs plus ou moins shakespeariens, étant évident qu’une Helen Mirren est aussi à l’aise à 15 ans dans une comédie de Shakespeare qu’à 65 ans dans une série policière… Quant au terrifiant cardinal Wolsey, figure de faux-cul en pourpre suave, Timothy West le campe dans toutes ses nuances comme il le ferait dans un thriller où il rencontrerait Anthony Hopkins revenu de son propre Othello dans le rôle du serial killer fameux ...
PAUVRE FRANCE ! – Revoyant, il y a queque temps, La Règle du jeu de Jean Renoir, mille et maintes fois encensée et tenue pour un chef d’œuvre, je me disais une fois de plus que l’académisme théatral français, formaliste et pompeux, n’en a jamais fini de peser sur l’interprétation, comme cela se voit dans ce film dont les seules séquences qui me semblent aujourd’hui supportables relèvent d’une espèce de folie brouillonne, alors que le drame final confine au ridicule ; et tout ça ne s’est pas arrangé dans les versions françaises de Brecht ou de Tchekhov et de Shakespeare, si souvent plombées par le pédantisme, et comme le jeune cinéma, les séries françaises actuelles restent eux aussi guindés et emphatiques à souhait, à quelques rares exceptions près.
Or à quoi cela tient-il ? J’en parlais l’autre jour avec mon cher Gérard, grand sourcier-traducteur du génie anglais et l’un de mes très rares compères de la première heure avec qui je m’entends « sur toute la ligne », pleinement d’accord sur le fait que le profond humour shakesperaien, qui ressortit à un non moins profond amour à la fois impérial et populaire, aristocratique et campagnard, aussi joyeusement puritain que sombrement débauché, n’a pas d’équivalent en France sauf chez Rabelais ou quelques autres grands fous à la Proust ou à la Balzac, à la Bernanos en ses à-pics ou à la Céline dans le genre hyper-teigneux - l'affreux punk Destouches au rire sonnant aigre comme la pluie de ce matin sur l’occiput du gentil Freddie…