Le journal du professeur Blequin (69)

Publié le 19 mars 2020 par Legraoully @LeGraoullyOff

Mardi 17 mars

15h : Coronavirus ou pas, j’ai un colis à récupérer. J’ai ainsi l’occasion d’explorer des rues quasi-désertes en pleine semaine… Le ciel est dégagé et le soleil brille, mais l’ambiance est hivernale, un paradoxe qui me rappelle 1984 d’Orwell ; je vais paraître superstitieux, mais j’ai l’impression qu’il fait TOUJOURS soleil quand une calamité nous tombe dessus : le 11 septembre 2001, déjà, le temps était estival, je vous parie que le soleil sera encore là pour me narguer le jour de ma mort… Cela dit, c’est drôle, quand même : il y a à peine trois mois, les villes étaient pleines de gens qui hurlaient pour que Macron dégage, et ce même président dont ils voulaient mettre la tête au bout d’une pique, voilà que les Français l’écoutent religieusement dès qu’a été prononcé le mot magique « épidémie »… Je suis sûr que la plupart de ces braves gens terrorisés ne savent même pas exactement ce que fait le virus à l’organisme, mais « coronavirus », à l’oreille, a tellement l’air d’un sale truc que ça suffit à les faire se terrer dans leurs clapiers ! En tous cas, les Brestois qui souhaitaient une police municipale ont tout lieu d’être satisfaits : l’ordre règne exactement comme ils le désirent ! Et les forces de l’ordre n’y sont pas pour grand’ chose car je ne croise aucun agent chargé de contrôler les rares passants. Heureusement, d’ailleurs, car ça ne me disait rien de devoir expliquer à un flic pourquoi je suis dehors ! En tout cas, vivement la fin du confinement qu’on puisse à nouveau respirer à pleins poumons les gaz d’échappement et n’attraper que des cancers comme au bon vieux temps ! Personne ne le dira, mais au fond, ça fait une pause presque bienvenue, cette histoire : quand le quotidien est un cauchemar, ce qui vient l’interrompre ne peut pas l’empirer…

Mercredi 18 mars

11h45 : Deux semaines sans nettoyer le plancher, il était temps que je m’y remette. Bien entendu, comme ce traître de soleil est à nouveau au rendez-vous, j’ouvre quelques fenêtres pour que ça sèche plus vite. Une fois que j’ai fini de briquer le sol (je devrais me faire homme de ménage), j’ai droit au boucan des travaux d’extérieur des voisins et aux cris de leur progéniture : voilà l’effet de la double action du confinement et eu printemps précoce… Je n’ai même pas besoin d’être contaminé pour que la situation me rende malade !

15h : Avec le retour du soleil, je me rends compte à quel point mes vitres sont crasseuses : je m’empresse de les nettoyer et aussitôt, je cesse de me plaindre du bruit des travaux d’extérieur et des cris d’enfants, désormais couverts par une radio allumée à fond la caisse, et fenêtres ouvertes, sur Nostalgie ! Je ne sais ni d’où ça vient ni si la personne qui nous offre cette animation a le droit de faire ça – entre nous, ce serait le comble : on ne peut plus sortir de chez soi mais on aurait le droit de cesser les oreilles de ses voisins ? Quand la radio se met à émettre une chanson de Jeanne Mas, je suis à deux doigts d’appeler Amnesty International !

19h : Ah ! Qu’est-ce que je disais sur la « pause presque bienvenue » ! Depuis le début de la pandémie, la pollution atmosphérique a diminué, même les eaux de Venise se sont clarifiées et repeuplées de poisson ! Qui a dit qu’il serait difficile de faire accepter aux gens les sacrifices nécessaires à la transition écologique ? Un virus a réalisé en deux mois ce que des années de cris d’alarme lancés par les plus grands spécialistes mondiaux désespéraient d’obtenir ! Enfin, j’ai l’air de rigoler, mais il ne faut pas s’y fier : cette ambiance sinistre me laisse un couteau dans l’âme, j’ai le pressentiment que je ne reverrai jamais les gens que j’aime.