[lu] la valse seconde (on me dit que ma poule est un coq), recueil de billets d'alain bonnand

Publié le 20 mars 2020 par Tilly
Éditions La Bibliothèque, collection Les Billets de la Bibliothèque lien, mars 2020, 172 pages, 16 euros

Alain Bonnand, deuxième.
Deux fois Alain Bonnand (la première c'est Arthur Cauquin au Yémen lien) pour un printemps insensé qui nous confine en chambre (par ailleurs, le lieu de littérature préféré de l'auteur !) : une double aubaine à profiter pour libérer les esprits gaiement en attendant le retour à la vie normale.

carnet de bal, bréviaire, ou almanach ?
J'ai déjà ditla qualité esthétique non pareille des petits livres de l'éditeur Jacques Damade. Pour moi, celui-ci est le plus beau.
Jaquette framboise, avec de seyantes broderies intérieures (les belles illustrations pertinentes de Maurice Miette).
Un parfait carnet de bal.
Mieux, un joli bréviaire profane avec plein d' idées de lectures intelligentes dedans, des " phrases à danser ", et des aphorismes taquins à relire aussi souvent qu'on en a oublié (ou pas encore vu) tous les sens cachés.

Tout à la fois - mais pas seulement, correspondance littéraire, amoureuse, journal intime, et almanach entraînant joyeusement le lecteur : d'un livre à une dame, un petit tour, puis à un autre livre, à un ami, à une autre amie, encore un tour... une valse, on vous le dit.

d'une valse, l'autre
Au début de on est début janvier 2012.
Comme les autres expats, les Bonnand sont rentrés de Damas à l'été 2011 ; ils se sont réinstallés à Reims. Alain Bonnand reprend la correspondance par mail qu'il entretenait depuis la Syrie avec l'essayiste suisse Roland Jaccard, et lui annonce qu'il va publier leurs échanges de l'année passée, une valse qui sera intitulée Le Testament syrien (Valse avec Roland)

" Ce sont les billets que je t'ai adressés depuis un an, repris tels quels pour les deux derniers tiers. J'ai arrangé le début pour donner de l'intérêt à l'ouvrage, qu'on soit vite à la Syrie et au Printemps. La spontanéité n'y a perdu qu'un petit peu. J'avais d'abord inséré tes réponses, et puis je les ai enlevées : trop de compliments à mon endroit, ce ne faisait pas sérieux."

" La semaine prochaine, je reprends les courriels que je t'ai adressés ces deux dernières années et je monte une suite au Testament syrien. [...]
Il faut valser, Roland.
Je nous mets un beau parquet sous les pieds.

Finalement, ce sont les mails adressés à une vingtaine de différentes correspondantes et deux correspondants qui feront la matière de cette seconde valse, même si le philosophe nihiliste reste le plus fréquent destinataire des messages de l'écrivain.

Cet aphorisme n'est pas dans La Valse seconde. C'est ce qu'écrira un jour l', une certaine Adeline qui pointe déjà son joli nez dansAlain Bonnand applique cet adage généreux à ses attachements féminins aussi bien qu'amicaux, mais aussi à l'inspiration de son écriture, le " fait à deux" !
La Valse Bonnand est un art de correspondre novateur : l'artiste est au cœur d'un petit réseau en étoile de personnes qui ne se connaissent pas, sinon de réputation pour certaines, qui ne communiquent pas entre elles, mais correspondent une à un avec celui, au centre, qui fait œuvre littéraire de sa vie et de sa relation écrite aux autres.
La Valse a deux temps : le premier, celui qui reste dans le secret des boîtes mail, est celui des échanges spontanés, rapides, libres et joueurs ; le second est plus solitaire, introspectif, mûri, soupesé : l'écrivain travaille sa matière, l'organise, peaufine sa phrase, fait swinguer les mots.
Non, je me trompe : La Valse a trois temps ! le troisième, c'est quand les lecteurs entrent dans la danse. C'est le moment, venez valser, il faut valser !

matière à penser, matière à sourire, matière à plaisir
Des conseils de bibliophile, bien ciblés et commentés, suivant que le destinataire est philosophe, écrivain (homme ou femme), bibliothécaire, ou lectrice curieuse.
En vrac et sans exhaustivité : Albert Caraco, Grisélis Réal, Alice Poirier, René Fallet, Jean Paulhan, Henri de Régnier, Francis de Croisset, Henri Calet (évidemment), José Cabanis, Nicolás Gómez Davilá, Gaston Chaissac, Georges Perros... De rares éreintements, mais si drôles (Houellebecq, Bernard Franck, Ayn Rand...).
Côté plaisir... il y en a partout chez Bonnand, l'écrivain est généreux, cependant un sommet est atteint avec le haïku coquin (en fait il y en a vingt-deux à la suite) pour Stéphanie. Une cul-riosité !
Pour le côté almanach (un peu moins marqué, donc très remarquable) : des anecdotes de bricoleur, de papa, de fils, de camarade (au sens Bonnand : dans le partage du plaisir et de la bonne intelligence), décalées et souriantes.

un délicieux délit d'initiée
J'ai beaucoup hésité à le dire !
Voilà : je suis montée en marche sur le carrousel ; je figure vers la fin du générique par ordre d'apparition sur le parquet de La Valse seconde !
Une figuration non pleinement consciente au début, mais totalement consentie ensuite ; cinq chapitres sur soixante-seize : les réponses qu'Alain Bonnand m'a faites au cours des conversations électroniques que nous avons eues après la publication d'une note de lecture sur mon blogue (). Un écrivain à une lectrice curieuse ! Des joyeusetés épistolaires que j'avais alors vivement appréciées (et le mot est faible) et que je suis heureuse (et bêtement un peu fière) de voir aujourd'hui mises en forme dans cette Valse magnifique, pour être partagées le plus largement possible j'espère. Deux fois de plaisir pris !

Ça a commencé au printemps 2013. Dans ma note de lecture j'avais proposé une interprétation de la belle illustration de couverture par la vidéaste colombienne amie de l'auteur, Triny Prada (Trinidad). Je voyais un coq... l'artiste colombienne parlait de poule, mais ça je l'ai compris par la suite. D'où le sous-titre drolatique de la Valse : " On me dit que ma poule est un coq ". On, c'est moi, donc !
Mais plus loin, je suis Tilly, et jamais je n'avais eu d'aussi jolie déclinaison poétique de mon prénom :

" ( D'où tenez-vous ce beau petit prénom ? On dirait d'une rivière d'eau claire, très remuante, du soleil au-dessus...) "

J'ai appris plus tard que c'était le souvenir de la rivière Barada qui coule à Damas, que l'écrivain garde au cœur. Touchée.

et pour finir... un clin d'œil de la lectrice à l'écrivain

" Alors, comme cela, votre fauteuil à oreilles est à la campagne... (Je le voyais à Paris. Je le trouve, de toute manière, bien près du lit.) "

La phrase (elle est à la page 160 de La Valse seconde) date de mars 2013, la photo de mars 2020 !

>> elles et ils en parlent aussi :