10h30 : Visite éclair de ma maman qui, tel un petit chaperon rouge du XXIe siècle, a bravé le grand méchant virus pour apporter des provisions à son grand garçon qui n’est même pas malade, sauf peut-être de l’âme : cette fois, elle n’a eu aucun mal à trouver ce qu’elle cherchait. C’est dire si les gens qui se sont rués dans les magasins dès l’annonce du confinement s’étaient affolés pour rien ! Sans compter que cette ruée digne du pèlerinage à La Mecque en pleine épidémie, c’était de l’inconscience totale ! S’ils ont été contaminés, ils ne pourront s’en prendre qu’à eux-mêmes ! Cela dit, je ne devrais pas dire ça, mais au fond, ce serait bien fait pour leurs gueules : ils seraient punis pour leur égoïsme suffoquant !
13h : Fidèle abonné, je retrouve mon Fluide Glacial dans ma boîte aux lettres. Mine de rien, cette vénérable revue a 45 ans, une longévité qu’elle doit en grande partie aux principes édictés dans les premières années par Jacques Diament qui avait su prendre des décisions impopulaires mais indispensables au bon moment. Et oui, il n’y a pas de miracle, comme le disait Wolinski et comme je le répète à mes étudiants, pour faire son trou dans la BD, « il faut parfois la même dose d’ambition, d’énergie et d’astuce qu’un technocrate arriviste » et pour lancer un journal qui survive à long terme, il faut non seulement la douce folie d’un créateur de génie comme Gotlib mais aussi la froide raison d’un gestionnaire compétent comme Diament, soit exactement ce qui avait manqué non seulement à Hara-Kiri mais aussi à la plupart des autres journaux de BD créés dans les années 1970 qui se sont cassés la gueule ou ont dû vendre leur âme au diable. Fluide Glacial, lui, a traversé bien des orages et a évidemment évolué, mais il est toujours fidèle au poste, toujours sans pub. Alors merci, monsieur Diament ! Le numéro que je reçois est accompagné d’une lettre du rédacteur en chef actuel, qui s’excuse pour le probable retard que risque de prendre la livraison des prochains numéros en raison de la situation : vous êtes tout excusé, monsieur Delpierre, on en est tous là ! Et bon anniversaire, même si j’aurais préféré vous le souhaiter dans de meilleures conditions…
13h : Je reçois des nouvelles d’une de mes tantes, qui est infirmière : elle me fait savoir qu’elle n’est pas à l’hôpital vu qu’elle était en arrêt pour une maladie dont la nature ne vous concerne pas. Elle est donc confinée chez elle, en sécurité, ça me fait un souci en moins. Cela dit, on porte actuellement aux nues les personnels hospitaliers, mais leur situation serait peut-être moins risquée si nos gouvernements successifs ne les avaient pas privés de moyens pour travailler dans de bonnes conditions ! Ils sont beaucoup trop gentils : s’ils se mettaient en grève là, maintenant, ils obtiendraient tout ce qu’ils voudraient sur l’heure ! Mais non, ils continuent à travailler et à se mettre en quatre pour sauver des vies et c’est déjà une preuve de la sincérité de leur dévouement ! Un dévouement mal récompensé : quand la crise sera passée, ils réclameront peut-être des moyens supplémentaires, mais il sera déjà trop tard ! Pourquoi ? C’est simple : ceux qui s’imaginent que plus rien sera comme avant sont optimistes : je vous parie que les Français voudront oublier, tout comme en 1945, et que quand les médecins et les infirmières défileront dans les rues, tous ces braves gens qui les couvraient de louanges quelques mois auparavant pesteront contre ces « privilégiés » qui les « prennent en otage »… Bon, j’exagère, peut-être que ça ne se passera pas comme ça : après tout, l’attitude des soignants donne raison à Camus qui disait « Il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser. »