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Une autre fracture numérique

Publié le 08 avril 2020 par Zappeuse

Je refuse désormais d’employer le terme de « continuité pédagogique » : la novlangue est juste bonne à bercer l’électeur macronien de la première heure et tous ceux qui sont très éloignés de la chose scolaire, et encore je doute qu’ils soient dupes. Par contre, je continue à envoyer cours, consignes et encouragements à mes élèves tous les jours, comme tous mes collègues, quoique ce cela nous en coûte et quels qu’en soient les retours.
Le job se fait donc, dans une artificialité chaque jour un peu plus palpable. Je repense à mon ministre de tutelle, qui, au doigt mouillé, estime que 5 à 8 % des élèves ont décroché. J’ignore comment a été élaboré ce chiffre mais, travaillant dans un bahut plutôt privilégié, j’ai l’impression que cette proportion est très en-deça de la réalité. Alors j’imagine ailleurs …
En gros, les mômes ont tenu sur la première semaine. Je passais plus de temps à lire leurs messages et à leur répondre qu’à ficeler les cours. Et puis la belle ardeur (je n’ose dire « enthousiasme ») s’est étiolée.
J’ai alors repensé à Monsieur Blanquer (d’ailleurs j’y pense trop, est-ce bien raisonnable ?), qui évoquait des problèmes de fracture numérique, constatant à juste titre que certaines familles n’étaient pas équipées pour recevoir internet correctement. Ceci n’est point faux : l’équipement des ménages en ordinateurs baisse (83 % en 2013, 76 % en 2019, c’est-à-dire le même pourcentage qu’en 2010). Sans parler des connexions internet très inégales d’un lieu à un autre (haut débit ou pas).
Et là, j’ai cessé de penser à Monsieur Blanquer (il ne faut jamais abuser des bonnes choses) pour repenser aux pratiques informatiques de mes élèves. Beaucoup d’entre eux et d’entre elles n’ont qu’une pratique récréative d’internet, et uniquement sur smartphone. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’ordinateur à la maison, mais simplement que l’ordi en question est considéré comme un objet ringard, scolaire, tout juste bon pour les vieux dont les doigts ne sont pas assez agiles pour réaliser des selfies en tirant la langue tout en les postant sur Insta avec un émoji plein de cœurs. Pour ceux et celles-là, si la famille a les moyens techniques et intellectuels de les aider dans ce travail scolaire bizarre désormais mis en place, ils vont s’y mettre, à l’ordi et à son clavier maudit. Mais les autres ? ceux pour qui l’ordi familial est lui aussi purement récréatif ou utilitaire (consultation du relevé de compte, réservation de billet d’avion, etc) ? ceux pour qui internet n’est pas un outil de travail ?
C’est là qu’il faut se souvenir qu’internet a été pensé par des intellos pour des intellos, c’est-à-dire pour des gens qui ont une pratique quotidienne de l’écrit, qui y sont à l’aise, qui savent chercher l’info dont ils ont besoin sans tomber dans tous les panneaux des fake news. Cette fracture numérique-là nécessite qu’une éducation aux médias et un enseignement de l’informatique vraiment très solides se mettent en place pour tous (enfants et adultes) dès que cela sera sanitairement possible. Quelque chose d’autrement plus ambitieux que ce qui se fait aujourd’hui dans les établissements scolaires, malgré la bonne volonté de tous les intervenants.


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