9 avril – Corona, la faute à qui ??
- Nombre de cas en France : 82 048 (10 869 morts)
- Jour de confinement : 23
- Nombre de cas en Inde : 5 734 (169 morts)
- Jour de confinement à Gurgaon : 18 / National : 16
Alors que les températures montent, le coronavirus continue son bonhomme de chemin en Inde, tandis que le Gouvernement indien prend des décisions assez drastiques. Aux grands maux les grands remèdes. En même temps, avec 1,3 milliards d’habitants, difficile d’être efficace en faisant dans la demi-mesure.
D’abord, le Gouvernement a imposé le lockdown national (confinement, quarantaine) le 25 mars avec moins de 600 cas et 9 morts – la France l’a lancé à 150 décès. Et il a pris des mesures bien plus strictes que dans beaucoup de pays : annulation de tous les vols, trains et bus, fermetures des frontières interétatiques, interdiction de livraisons autres que alimentaires, restriction extrême des déplacements pour lesquels il faut obtenir un pass (laissez-passer) etc. Les rues se sont effectivement vidées, mais pas les routes, qui ont vu l’exode des travailleurs journaliers qui n’ont pas d’attaches sur leur lieu de travail et pas de moyens de subsistance (et qui préfèrent aussi être avec leur famille pendant les coups durs). Les bidonvilles non plus ne se sont pas vidés, au contraire, la populace y a été fourrée. Le tout à la baguette. De bambou.
Comme ça commençait à faire tâche, la presse a été « encouragée » à montrer les élans de solidarité pour tous ceux qui commencent à avoir faim (qui sont d’ailleurs bien réels). Mais toute proportion gardée, hein, il s’agit pas non plus d’aller filmer et de montrer la réalité de la vie dans ces lieux surpeuplés. Dernièrement, la presse en Inde n’a pas bonne presse auprès du Gouvernement si elle est un tant soit peu dissidente. Il a donc décidé récemment d’interdire toute circulation d’informations sur le corona virus – ou plus exactement de fausses informations ou d’informations de nature à créer de la panique, mais personne ne s’intéresse à cette précision. Quand on voit le nombre de fakes qui circulent sur les réseaux sociaux et journalistiques français, je me demande si cette mesure n’a pas quelque justification. Par exemple, il y a 2 jours, notre jardinier (musulman) a appelé mon Indien préféré. Pas pour parler des tomates (qu’il a plantées comme un sagouin) mais pour savoir si on avait entendu parler des émeutes hindous-musulmans qui éclateraient après la crise du Covid ? On lui recommande même de prendre le premier train après la fin du confinement pour aller se mettre à l’abri – c’est mes tomates qui seraient contentes. Et bien, laisse-moi te dire que mon esprit un peu fatigué s’est fait 50 scénarios allant de l’hébergement de la femme de ménage, du jardinier, du nettoyeur de piscine et du laveur de voiture (tous musulmans) à un départ précipité pour la France. Bref, il vaudrait donc peut-être mieux que je n’ai pas accès à ce genre de rumeurs. Certaines sont d’ailleurs circulées par des membres du BJP. Selon l’une d’elle, Modi aurait été choisi par les États-Unis, le Royaume-Uni et 18 autres pays pour diriger un groupe de travail sur le coronavirus.
Alors qu’en fait, l’Inde « pourrait » devenir leader d’un groupe de travail, – Modi ayant en effet appelé à une action conjointe entre les pays pour contenir la pandémie – mais il s’agit des pays de l’ASACR (Association sud-asiatique de coopération régionale) : l’Inde, l’Afghanistan, le Bangladesh, le Bhoutan, les Maldives, le Népal, le Pakistan et le Sri Lanka.
Sur ce, alors que le nombre de morts est passé à 149 – soit 140 de plus qu’au premier jour de confinement, il y a 2 semaines – les règles ont commencé à se durcir. Quand le nombre de cas dans une zone donnée dépasse 6, les autorités locales imposent désormais un sealing. Scellée, personne n’a le droit d’entrer dans cette zone ni d’en sortir ; la nourriture et les médicaments sont livrés et seuls policiers et soignants peuvent être autorisés à y pénétrer. Ça ressemble à ça à Gurgaon par exemple : notice du Gouvernement. C’est comme ça qu’à ce jour, 20 zones (hotspots) sont en cours de scellage à Delhi, et 76 dans l’Uttar Pradesh (source et source). Le sealing s’accompagne de barricades quand même, c’est un peu flippant.
Un de ces hotspots, Fazilpur, est dans notre voisinage immédiat, et la plupart des employés de la résidence viennent de là-bas. Notre nounou nous a demandé au déjeuner si la famille de 9 personnes hospitalisées (dont une décédée) était « normale ». Normale ? Elle voulait savoir s’ils étaient riches ou pauvres. Elle a été presque soulagée d’apprendre qu’ils étaient pauvres : « Ils se pensent intouchables (enfin immunisés, mauvais jeu de mots dans le contexte indien) et que c’est une maladie de riches. Maintenant ils vont comprendre et arrêter de se balader. » Dur. L’autre son de cloche c’est que les pauvres postulent qu’ils sont certains de mourir de faim mais qu’ils ont une chance d’en réchapper avec le coronavirus. Questions de probabilités. Pas besoin de faire grandes écoles pour comprendre ça.
Pendant ce temps, on ne sait pas bien ce que fait le Premier Ministre. Certes, de temps à autre il passe à la télé et demande aux Indiens de taper dans des timbales ou d’allumer des bougies. Il fait du yoga aussi, et son personnage de cartoon donne même des leçons :
(Je veux la même avec Macron !) À part ça, on espère qu’il gère l’épidémie à ses heures creuses. Il a discuté hier avec ses pairs et a par exemple annoncé le 8 avril que 3 semaines de confinement ne suffiraient sans doute pas. D’ailleurs, cette journée a été bien remplie pour lui : il a fait plaisir à son pote Trump qui, après avoir ouvertement menacé l’Inde de représailles, remercie Modi d’avoir allégé les restrictions liées à l’export de médicaments aux US (notamment de paracétamol et d’hydrochloroxine). Modi a fait son calcul, envoyé le surplus de stock et transformé ça en geste humanitaire ; il aurait eu tort de se priver. Et puis cette accolade du Président américain fait rêver certains riches Indiens, qui se réjouissent du tweet de ce dernier – va comprendre…
En plus du confinement de niveau 1 (lockdown) et de niveau 2 (sealing), d’autres mesures se mettent en place. Par exemple, Mumbai, Pune, Chandigarh et l’Uttar Pradesh ont imposé le port du masque obligatoire. Les autres vont suivre. Impossible d’avoir des infos claires sur les stocks de masques dans le pays. D’ailleurs, dans un contexte de pénurie d’équipements médicaux, on se rend compte que les Indiens ne sont pas les seuls rois du jugaad (bricolage inventif, mot hindi qui n’a pas d’équivalent en anglais). Les Français avec leurs masques de plongée Décathlon, leurs surblouses en sac poubelle, leurs couvre-visages faits à l’imprimante 3D, n’ont rien à envier aux Indiens. Ni les Espagnols avec leurs ventilateurs recyclés à partir de moteurs d’essuie-glaces (source) Comme quoi, c’est l’adversité qui permet de puiser dans des ressources insoupçonnées de créativité, pas la nationalité. Face au corona, on est tous le tiers-monde.
Sans transition, un rassemblement évangélique semble avoir propagé le coronavirus en France : plus de 2000 fidèles ont participé à un évènement, « Les portes ouvertes chrétiennes », à Mulhouse du 17 au 24 février, et auraient ramené le virus chez eux (partout en France, dans quelques pays limitrophes comme la Belgique, l’Allemagne et la Suisse) (source). Info ou intox ? Si le rassemblement a bel et bien eu lieu, et si de nombreux cas y sont liés, plein d’autres évènements ont également été maintenus à cette période : match de foot à Milan (19 février) et à Lyon (26 février), salon français de l’agriculture (du 22 au 29 février), carnaval de Nice (du 15 au 28 février) et de Venise (du 15 au 25 février), fête du citron de Menton (du 23 février au 3 mars) (source). Stigmatisation ou pas, dans mon Inde lointaine, je n’ai pas entendu parler des citrons mais bien des évangélistes. D’ailleurs, j’avoue m’être demandé comment ces derniers interprètent ce signe de Dieu, une contamination virale via une réunion religieuse ?
En Inde aussi, on a trouvé un rassemblement religieux comme coupable. Et comme en France, on a ignoré d’autres évènements concomitants. Un groupe de musulmans (le Tablighi Jamaat) a tenu son rassemblement annuel à Delhi début mars (vers le 3) avec plusieurs centaines de participants – on n’a pas les chiffres exacts mais leur lieu de rassemblement peut accueillir jusqu’à 5 000 personnes – dont des étrangers (source). Du 3 au 7 mars s’est tenue en parallèle (du 3 au 7 mars) une Food exhibition (Aahar) à Delhi où il y avait des milliers (25 000 ?) de personnes. J’y suis moi-même allée. Et je suis sûre qu’on peut trouver plein d’autres rassemblements, qu’ils soient politiques ou religieux. Mais on s’en fout, un rassemblement musulman responsable de la propagation du coronavirus en Inde, c’est du pain béni pour les extrémistes hindous. Pourtant, en ce moment, il y a déjà un ennemi à combattre (le Covid) et le pays n’a pas trop les moyens de se payer des émeutes – Modi n’en rajoute donc pas une couche avec cette histoire. M’enfin, si les Indiens ont besoin d’un coupable, ils ont déjà les gens aux traits bridés, ceux à la couleur de peau claire et les musulmans, y a qu’à piocher. C’est quand même plus facile de s’en prendre à ceux qui ont propagé le virus qu’à ceux qui n’ont pas su l’endiguer, ou construire les infrastructures pour soigner.
À part ça, à l’heure où les Français débattent du bien-fondé d’une appli pour savoir quand on croise un(e) coroniféré(e), les Indiens ont déjà lancé deux-trois applis, dont le Aarogya Setu (lire article), inspiré de l’appli singapourienne TraceTogether. Apparemment, il faut soi-même remplir les données, rien n’est pré-rempli – je ne sais pas combien de personnes s’auto-déclareront corona positives, vu la stigmatisation ici.
Par ailleurs, il est souvent obligatoire, comme à Gurgaon, d’auto-déclarer la quarantaine si on a voyagé ou été exposé à des gens qui ont voyagé ou aurait pu être en contact avec le virus.
Bref, ça ne rigole pas trop en Inde.
Pas encore de pénurie alimentaire. Mais je lis que dans des zones plus rurales, comme dans le Madhya Pradesh, les marchands de fruits et légumes se sont transformés en hommes de l’ombre et doivent se planquer à la moindre vue d’un policier. Seul le lait reste bien distribué. Et puis les wine shops sont fermés depuis belle lurette – en Inde, l’alcool n’est vendu que dans certains établissements possédant une licence.
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