(Blaise Pascal)
19 février 2020 – Résidence Hôtel du Val de Sel – Dunkerque
- « Tu as le temps là, ma chérie ? Tu es où ? », interroge Léon Parent.
- « À l’extérieur. Je me suis éclipsée un moment en prétextant une pause. », répond fébrilement Sandrine.
- « Tu es seule ? »
- « Oui. Personne autour. Tu peux y aller. », confirme-t-elle.
Sandrine n’aurait jamais pu imaginer avoir à vivre de tels instants. Alors qu’elle colle nerveusement son oreille contre son smart-phone, elle se souvient du message réceptionné, hier soir, alors qu’elle venait de raconter à son pềre pour Sophie. Sa réaction, attérante. Les mots plus hauts que les autres. Le dernier bulletin d’informations à la télévision. Et puis la nouvelle, ahurissante, d’une épidémie hors de contrôle se répandant à travers le monde. Le visage médusé des seniors et de leurs jeunes binômes. La sensation, terrible, du basculement.
« Essaye de dormir un peu. Ce sera toujours ça de pris. Le sommeil est magique, quand de grandes décisions s’imposent. Tu as besoin de te reposer. Je te recontacte très vite, ne t’en fais pas », avait tenté de la rassurer son père.
Alors qu’elle s’apprêtait à éteindre les lumières en s’astreignant au calme malgré les circonstances, un message s’était affiché sur son écran tactile : «Télécharge et installe l’application « Signal » sur ton téléphone portable. Envoie-moi « OK » dès que c’est fait. C’est une application qui permet le chiffrage des communications orales ou des messages écrits. On pourra communiquer de manière plus sécurisée. Fais-moi signe dès que tu es disponible. Dors-bien et à demain. Papa. »
- « Tu as un peu de temps là ? », s’enquiert Léon.
Sandrine revient aussitôt à la réalité.
- « Oui, vas-y. Et toi, tu peux parler, là ? Tu es seul ? »
- « Ne t’inquiètes pas, je suis à la maison. Ils viennent de faire tourner les équipes au labo. Je vais avoir un petit moment de disponibilité. »
Un silence s’installe, ne laissant à entendre à Sandrine que le froissement des vêtements de Léon et le bruit sec d’un verre se posant sur une plaque de verre. Probablement la table basse, dans le salon de la maison familiale.
- « Papa ? »
- « Oui, oui. Je suis là».
Silence, de nouveau. Puis les mots, lourds de sens.
- « Sandrine, ma chérie ; il faut que je te parle ».
- « À propos de ce qu’on s’est dit hier soir, tu veux dire ? »
- « Oui, entre autres choses »
- « Alors dis-moi, papa. Dis, je t’en pris », demande instamment Sandrine.
- « Ce dont il est question est plus complexe que ce que tu as pu entendre à la télévision ou comprendre au cours des derniers jours ».
- « Tu parles du virus ? »
- « Oui, du virus. », confirme Léon d’une voix calme et cependant déterminée. « Sandrine, promets-moi que ce que je vais te révéler restera entre-nous. Cela relève d’informations confidentielles qu’en aucun cas je ne dois partager avec quiconque à l’extérieur de mon laboratoire de recherche. Je suis normalement soumis au secret professionnel, tu le sais ça ».
- « Oui papa, je le sais bien. Je te le promets », confirme Sandrine, inquiète.
- « Ma chérie, le virus qui se propage actuellement, au même titre que les autres virus, fait partie de la famille des microbes. Comme tu l’as appris lors de tes années d’études, tu sais que l’on retrouve dans les microbes les bactéries, les parasites, les champignons dits « levures » et puis les virus. Ce sont des micro-organismes qui ont besoin de cellules humaines pour se développer. Ils s’intègrent à l’intérieur du système cellulaire et utilisent les cellules des organismes qu’ils contaminent pour se développer. Ils vivent au dépend de l’organisme qui les héberge. Et parfois, il arrive qu’ils détruisent leur hôte ; ce qui, par nature, n’est pas trop leur intention ; si tant est qu’ils en aient une. »(1)
- « Oui, je comprends », interrompt momentanément Sandrine.
- « En général », reprend Léon « tout virus est un parasite de la cellule. Il la prend en otage pour créer d’autres virus, les « virions ». Ces virions contaminent alors d’autres cellules et ainsi la maladie virale se répand à l’intérieur de l’organisme infecté. Moi qui ai pu, à l’époque, travailler en collaboration avec des services d’oncologie, je peux te confirmer que certains virus sont capables de réduire la capacité naturelle que les cellules ont à se développer. Parfois même, ces virus empêchent que la cellule ne meure. Ces virus là, on les appellent les « oncogènes ». Ils vont être capables d’entraîner un développement « immortel » de la cellule. Par nature, une cellule attaquée se détruit afin de pouvoir protéger instinctivement la vie. Mais ces virus « oncogènes » vont agir de telle manière qu’ils vont empêcher toute cellule de se « suicider », si l'on peut dire. Et c’est comme cela que démarre la cellule cancéreuse, qui se reproduit même si elle est déficiente ou altérée par un virus oncogène. C’est pour cette raison que l’on parle de « services d’oncologie » lorsque l’on se réfère à la cancérologie ; car c’est dans ces services spécialisés que les virus « oncogènes » sont étudiés et traités. »(1)
- «Je vois. OK, je comprends »
- « On sait depuis mille-neuf-cent-trente-trois que la grippe n’est pas bactérienne, mais virale. », continue Léon. « Si l'on se réfère à la grippe H5N1, la grippe aviaire repérée pour la première fois en mille-neuf-cent quatre-vingt dix-sept, il existe trois types de virus. La catégorie dite « C », qui crée les rhumes, entre-autres. Ce ne sont pas des virus très dangereux. Ils sont en quelque sorte bénins et ne créent pas de maladies sévères. Tu as ensuite les virus de type « B », responsables des grippes saisonnières que nous connaissont en général, chaque année. Ces virus là ne sont pas cause d’épidémies sévères. Et enfin, tu as les virus de type « A ». Ceux là causent des formes de maladies graves, ou mortelles. Ils entrent dans l’acide ribonucléique* des êtres vivants. Autour de ces acides ribonucléiques, tu as une sorte d’enveloppe ; et sur cette enveloppe, tu as deux glycoprotéines. L’une de ces glycoprotéines s’appelle l’hémagglutinine. C’est elle qu’on surnomme « H » quant on parle, par exemple, de grippe aviaire H1N1. L’autre de ces deux glycoprotéines se nomme la neuraminidase. C’est elle que l’on surnomme « N », quand on parle de virus H1N1. Ce ne sont que les virus de type « A » qui vont être caractérisés par l’appellation « H » et « N ».(1) Tu me suis jusque là ? »
- « Oui, je pense », confirme Sandrine.
- « Lorsqu’un virus pénètre dans un organisme, il s’accroche d’abord sur la cellule dite « H ». Et puis, lorsqu’il s’est multiplié et a créé beaucoup de virions, ceux-ci profitent de la neuraminidase, dite « N », pour se couper de la cellule « H » et se répandre dans le corps de leur hôte. »
- « OK »
- « Actuellement », poursuit Léon « seize « N » et neuf « H » ont été identifiés dans le monde, en fonction de leur type et de leur dangerosité. Pour l’instant, le plus dangereux des virus en circulation dans le monde est celui de la grippe aviaire, la grippe « A ». Ce virus est particulièrement meurtrier. Soixante pour-cent des patients contaminés en meurent. Mais aujourd’hui, une nouvelle souche de la grippe aviaire émerge : la « H7N9 ». Plus les chiffres accompagnant les « H » et les « N » sont grands, plus la dangerosité est importante. Si jamais il se propage, ce sera la pire catastrophe humaine depuis la grippe espagnole de mille-neuf-cent-dix-huit. »(2)
- « Mon Dieu... », lance Sandrine dans un souffle. « Comment est-ce qu’on a pu en arriver là ? Comment se fait-il que des virus aussi dangereux puissent se répandre, avec les connaissances scientifiques qu’on a aujourd’hui ?»
- « Ma chérie, il faut que tu saches que les virus de type « A » sont appelés ainsi à cause des oiseaux. C’est la grippe dite « aviaire » qui lui a donné cette appellation : « A », comme « Aviaire ». Ces virus viennent des maladies des oiseaux et se transmettent à l’homme, en partie. Différents virus de type « A » se sont répandus de manière pandémique jusqu’à aujourd’hui. En deux-mille-seize, le H5N1, par exemple, était un virus aviaire. Il a officiellement infesté cent-trente-huit personnes et en a tué soixante-et-onze. Cela peut paraître presque anodin, si ce n’est que ce virus tue environ cinquante pour cent de ses hôtes ; soit un animal contaminé sur deux. C’est un fait scientifique qui créait jusqu’à maintenant la crainte que ce type de virus ne passe des oiseaux à l’homme. »(1)
- « Je vois... »
- « Comme tu as pu déjà le constater par le passé, la grippe humaine se transmet par voie essentiellement respiratoire. C’est son mode de transmission le plus courant. Le simple fait de respirer, parler ou tousser devient donc un risque important de contracter la maladie et de se retrouver très rapidement en détresse respiratoire, pour ce qui est des virus les plus agressifs. Sans compter les autres symptômes de la grippe, que tu connais déjà. »
- « Oui », confirme de nouveau Sandrine.
- « Il n’y a aucune sorte d’égalité face aux maladies. Certains individus se défendent mieux que d’autres. Une parfaite immunité est vraiment difficile et compliquée face à un virus comme celui de la grippe, car en général un organisme réagit contre sa « variante », sa version « mutante » si tu préfères. »
- « Mais, et les vaccins papa ? Ils sont bien-là, tout de même. Ils servent bien à quelque chose, non, si les médecins nous les prescrivent régulièrement ? »
- « Ma chérie, il est illusoire d’envisager de pouvoir actuellement se protéger de la grippe « A » dans le monde. Il faudrait pouvoir contrôler toutes les naissances de tous les types d’oiseaux sur la planète, ce qui est bien évidemment impossible. De plus, un vaccin est réalisé à partir des souches virales des précédentes vagues épidémiques ou pandémiques. Ce qui veut dire qu’il ne peut en aucun cas être efficace sur un type de virus émergent. »(1)
- « Emergent ? »
- « Inconnu. »
* ARN (Acide Rinonucléique) : présent chez pratiquement tous les êtres vivants, et aussi chez certains virus. L'ARN est très proche chimiquement de l'ADN et il est d'ailleurs en général synthétisé dans les cellules à partir d'une matrice d'ADN dont il est une copie.
(1) Source :« H5N1 : Ce qu'il faut savoir sur la Grippe aviaire » : Entretien avec les professeurs François Bricaire (chef du service des maladies infectieuses et tropicales - Hôpital de la Salpêtrière à Paris) et Jean-Philippe Derenne (chef du service de pneumologie et réanimation - Hôpital de la Salpêtrière à Paris). Interview effectuée par Christophe Donner. Imineo Documentaires. (28 mai 2016)
(2) Source : Docteur Dennis Carroll (directeur de l’unité des menaces sanitaires (USAID)) - Série de reportages « Pandémie » - Episode 1 – Avril 2020