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Publié le 21 juillet 2008 par Anned

Jeudi 17 juillet, l’Argentine s’est réveillée groggy. Vers 4h30 du matin, un événement inespéré s’était produit. Le Président du Sénat et Vice-président du pays avait voté contre le projet de loi présenté par la majorité présidentielle, départageant ainsi partisans et adversaires à égalité parfaite.

Pour comprendre la situation, un retour en arrière s’impose.

Le pays est gouverné depuis 2003 par les Kirchner, mari et femme. Nestor d’abord, jusqu’en décembre dernier. Son mode de pensée et d’action politique semble être « qui n’est pas avec moi est contre moi », particulièrement perceptible dans ses discours toujours vindicatifs et menaçants, voire paranoïaques. Il a passé la main le plus légalement du monde l’an dernier à Cristina Fernandez de Kirchner (son nom complet de femme mariée), son épouse, que l’on dit bien plus intelligente que lui. L’espoir était grand que l’ancienne sénatrice et avocate fasse sortir la vie politique du pays de cet affrontement manichéen où l’avait enfermé son époux. Pourtant ce sont les oiseaux de mauvais augure qui à ce jour semblent l’avoir emporté : tout démontre que Cristina n’est que la marionnette et la façade glamour de son mari et ex-président, qui de fait n’a rien cédé de son pouvoir.

En mars dernier, le clan Kirchner pensait accroître sans douleur les rentrées fiscales en augmentant de nouveau et d’un simple décret présidentiel, les taxes à l’exportation du soja. La mesure eut pour effet imprévu de déchaîner la colère dans les campagnes. Il y eut des barrages sur les routes, une grève des ventes de soja. Chaque tentative de dialogue de Cristina était méthodiquement torpillée par les hommes de l’ex-président. L’expression du mécontentement populaire culmina lors d’un « cacerolazo » (voir les anciens articles) comme Buenos Aires n’en n’avait plus connu depuis des années. Sous la pression de la rue, la présidente finit par envoyer le décret au Parlement pour qu’il l’approuve. La chambre basse n’adopta le projet qu’à une courte majorité, moyennant d’importantes modifications initialement refusées par le clan Kirchner et de fortes pressions du gouvernement sur les députés dont certains ont été ouvertement achetés à coup de promesses de subventions pour leur circonscription, de placards dorés pour leurs proches, etc.

Mardi dernier, à la veille de la session à la chambre haute, le « Campo » comme l’ « Oficialismo » organisaient chacun leur démonstration de force dans la capitale. Avec la présence de deux fois plus de manifestants dans un camp que dans l’autre, on ne put que constater que les campagnes l’emportaient haut la main dans la rue. Sans compter que comme il est de coutume dans ce pays de tradition péroniste, côté « oficialismo », une bonne proportion de manifestants avaient ouvertement été rémunérés pour leur présence.

Restait le vote du Sénat. Malgré les pressions sur les élus, après dix-sept heures de débat, les deux camps étaient à égalité parfaite, un certain nombre de sénateurs théoriquement kirchneristes n’ayant donc pas hésité à voter contre leur camp. Selon la constitution du pays, revenait alors la lourde tache de départager les deux parties au président du Sénat, qui est aussi le vice-président du pays et second officiel de Cristina, à ne pas confondre avec son mari et ex-président.

Or, ledit vice-président, qui venant d’un parti ami ne se reconnaît aucun lien de subordination à la Présidente, avait de manière répétée manifesté au cours des quatre mois de crise son mal-être face aux méthodes de ses alliés officiels, et tenté plusieurs démarches en direction du Campo. Leur seul effet avait été de déclencher l’ire des Kirchner mari et femme. Pourtant, lorsque les circonstances lui ont donné le dernier mot ce jeudi vers 4h du matin, aux termes d’un discours tendu, il a voté en son âme et conscience contre le projet de loi, qui aux termes de la constitution ne pourra revenir devant le Parlement avant au moins un an.

La suite logique a été dans les heures suivantes l’annulation pure et simple du décret présidentiel contesté, et le retour à la case départ, c'est-à-dire la situation qui prévalait le 10 mars dernier, à la veille de la prise du décret en question. L’Argentine sort ainsi d’une crise de plus de quatre mois pendant lesquels les habitants du pays ont eu tout le loisir de contempler le triste état de leur démocratie.

Pourtant, ce jeudi matin, en marquant en quelque sorte contre son propre camp, le vice-président leur redonne espoir : l’hégémonie manichéenne et paranoïaque du clan Kirchner n’est pas une fatalité.

C’est si nouveau que les Argentins en sont tout étourdis.

Cristina prendra-t-elle enfin son courage à deux mains pour gouverner le pays selon ses principes à elle ? Nestor trouvera-t-il bientôt ses valises sur le pas de la porte de la « Quinta » présidentielle d’Olivos dans la banlieue nord la capitale ? Qu’adviendra-t-il maintenant ?