Magazine Journal intime

CHAPITRE 12 - Deuxième partie

Publié le 18 avril 2020 par Elisabeth Osram

CHAPITRE 12 - Deuxième partie« Toute révélation contient un acte d'amour mais est-ce bien ce que voit celui qui connaît désormais notre secret ? »*

19 février 2020 – Rue Ferrer - Hondschoote, Hauts-de-France

- « Raconte-moi », relance-t-il.

Zia lâche un long soupir, plonge son regard dans celui d’Emile, resserre son étreinte autour du bras du vieil homme, tourne son visage vers la campagne déployée au devant d’eux, et se lance. Les yeux fixés sur les nuances marronnées de l’hiver, elle s’attelle à renouer avec le passé.

– « Quand papa nous a quittées en avril 2008, j’étais encore toute petite. Ça m’a fait beaucoup de chagrin parce que, à quatre ans et demi, je n’ai pas compris pourquoi ma famille explosait. Mais papa, lui, ça faisait déjà un petit moment qu’il avait lancé des procédures pour retrouver ses origines. Il en avait besoin « pour continuer d’avancer, pour retrouver des repères et pour renouer avec ses racines » ; c’est ce qu’il me disait régulièrement.
Un jour, il m’a confié qu’il avait réussi à obtenir le nom de la dernière famille qui l’avait accueilli : les Lefebvre, Laurent et Lina. Alors dorénavant, il allait s’appeler Luc Lefebvre. Il était heureux, ça se voyait. Cette famille est devenue la sienne ; il allait pouvoir « s’ancrer dans le dur », comme il n’arrêtait pas de le répéter. Mais moi, j’ai gardé le nom de ma mère adoptive : Louis.
Après le départ de papa, ma vie de famille est devenue encore plus pénible. Avec tout ce qu’il s’est passé : la séparation de mes parents, l’enquête sociale à la maison avec Madame Martel, quand je n’allais pas assez à l’école ; mamie qui n’a pas voulu venir pour aider maman, et ensuite mon père qui a demandé à l’aide sociale à l’enfance et Agathe Bonte de l’aider à m’élever, en me mettant dans une famille d’accueil… ; ça a été une période très compliquée pour moi, même si Martine, Jean et Linda se sont montrés tout de suite très gentils.
J’avais à peine huit ans quand je suis arrivée chez eux, et ils ont dû être véritablement patients pour arriver à m’apprivoiser. Même si de temps à autre je continue de voir mon père, je les aime beaucoup ; et il m’aiment beaucoup aussi je crois. Ils prennent vraiment soin de moi. C’est un peu comme si j’avais toujours grandi avec eux, ici à Hondschoote. Et Agathe, Madame Martel, le juge des enfants… ; toutes ces personnes là font parties de ma nouvelle vie maintenant. J’ai pris l’habitude. »

La jeune fille prend un temps de respiration afin de rassembler l’ensemble des souvenirs qui la hântent encore.

– « Et puis il y a eu la mort de ma mère, en février 2011. Martine, Jean et Linda m’ont accompagnée, le jour de l’enterrement. Heureusement qu’ils étaient là, sinon je n’aurais pas réussi à tenir. C’était le 24 février, dix jours après la visite de mon père à l’hôpital ; quand il est allé porter un bouquet de roses à maman. Je vous en avais déjà parlé.
Le jour de l’enterrement, il m’a relaté comment ils s’étaient rencontrés tous les deux, sur Clichy. Mon père venait de quitter Dunkerque parce-qu’à cette époque là, il avait eu pas mal de problèmes. Il venait de perdre en même temps sa copine, son travail et son appartement, alors il avait besoin de changer d’air. Il est allé se réfugier chez sa sœur, Lydia, qui habitait depuis plusieurs années dans un petit studio, rue Madame de Sanzillon. Elle lui avait proposé de le rejoindre « pour se refaire ».
Lydia, c’est la sœur jumelle de mon père. Depuis leur naissance, ils n’ont pas rompu le contact. Même adoptés dans des familles différentes, les personnes qui se sont occupées d’eux ont fait en sorte qu’ils continuent d’avoir des nouvelles l’un de l’autre. Comme ils avaient été pupilles ensemble, les services à l’enfance avaient décidé que ce serait bien de leur trouver une famille qui les adopte tous les deux en même temps. Mais ils n’ont pas trouvé la famille qu’il fallait, alors ils les ont séparés. Mais comme ils étaient jumeaux, les professionnels qui s’occupaient d’eux ont estimé que c’était important de leur faire conserver un lien. Alors mon père a toujours à peu près su comment vivait sa sœur, et où elle se trouvait. Des lettres étaient envoyées dans les familles de l’un et de l’autre. Et puis plus tard, lorsque papa est devenu adulte, ils se sont vus assez régulièrement. Enfin, pas trop souvent malgré tout, parce que lui vivait sur Dunkerque, et Lydia, elle, vivait près de Paris. »

– « Alors, c’est chez ta tante que ton père et ta mère se sont rencontrés ? Là-bas, près de Paris ? », la coupe Emile, veillant à ne manquer aucun détail de la vie de sa jeune auxiliaire.

– « Oui, c’est ça. Depuis quelques années, Lydia avait une très bonne amie : Annie, ma mère. Elles se voyaient tout le temps et faisaient beaucoup la fête. Ma mère souhaitait oublier les épreuves de son enfance et la méchanceté de son père. Lydia, elle, désirait créer du lien ; parce que son frère, mon père, lui manquait et que son enfance n’avait pas été facile non plus. Papa s’est installé chez ma tante en 1996 ; et quelques semaines plus tard, lors d’une soirée organisée par Lydia, il a rencontré par mère. Ils se sont très vite trouvés des points communs, et leur enfance difficile les a rapprochés. Ils se sont dit assez rapidement qu’ils arriveraient plus facilement à guérir de leurs blessures s’ils le faisaient ensemble.
Ma mère était grande et fine, et la couleur de sa peau la faisait ressembler à une déesse africaine. Ce compliment a beaucoup faire rire Lydia, la première fois. Elle l’a répété à ma mère, qui s’est sentie touchée de la comparaison. Ma tante lui a dit qu’elle avait probablement « décroché un flirt ». Ils se sont mis ensemble dans les mois qui ont suivi, dans la même rue que Lydia, à deux pâtés de maison de son immeuble. Ils se sont mariés un an après, en 1997.
Mais les ennuis les ont rattrapés, comme s’ils y étaient abonnés. Ma mère n’arrivait pas à tomber enceinte, alors ils sont allés voir des docteurs, des spécialistes. Ils ont passé tout un tas d’examens et mon père a finalement appris que c’était à cause de lui s’ils ne pouvait pas avoir d’enfant, parce-qu’il était stérile. Ça a rendu maman très malheureuse, et mon père se sentait coupable, même si ce n’était pas de sa faute. Ils ont discuté longtemps pour trouver une solution, et puis ils se sont enfin décidés pour l’adoption. Ils ont démarré toutes les démarches nécessaires en 1998, puis ils ont du passer par tout un tas de rendez-vous et d’analyses. Ils ont rempli des tonnes de papiers administratifs et ont fait plein de courriers, dans tous les sens. Ils ont dû m’attendre pendant des années. Et puis je suis arrivée chez eux en 2004, j’avais six mois. Je ne me rappelle pas de mes premiers mois ni comment je suis arrivée d’Afrique, c’est trop loin. Mais plus tard, mes parents m’ont confié le bonheur qu’ils avaient ressenti quand ils m’ont rencontrée et toutes les choses par lesquelles ils avaient dû passer pour qu’on soit réunis tous les trois. Ensuite, l’histoire, vous la connaissez.»

Emile sourit doucement à cette jeune fille qu’il trouve décidément bien courageuse. Il se sent chanceux de l’avoir rencontrée, et lui confirme son plus implicite soutien par un nouveau tapotement de la main. Zia ressent toute l’attention portée à ce geste affectueux. Elle resserre un peu plus son étreinte autour du bras d’Emile.

– « Tu me disais tout à l’heure que tu repensais à la fois où ton père est venu te voir en 2017 dans ta nouvelle famille, avec un gâteau au chocolat et une bouteille de champagne. Qu’est-ce-qu’il avait donc à t’apprendre pour arriver les bras chargés comme ça ?  », relance Emile, désireux d’entendre de la réponse qui va suivre.

– « Et bien, comme je vous l’ai expliqué tout à l’heure, papa avait besoin de renouer avec ses origines, même s’il était fier de son nouveau nom de famille. Il avait besoin de comprendre pourquoi lui et sa petite sœur avaient attérris à la DASS.* On a tous besoin de comprendre d’où on vient pour continuer d’avancer, n’est-ce-pas ?

–  Pour sûr, ma toute chtiote, confirme Emile. « Y a rien de plus important. 

– Alors papa a tout fait pour connaître les conditions de sa naissance et trouver les membres de sa famille d’origine, s’ils existaient encore. Et il a trouvé. C’est ce qu’il était venu me confier. On s’est d’abord tous installés autour de la grande table en chêne et Martine a sorti les assiettes et les verres, Linda les couverts et les serviettes, et Jean est allé à la cave chercher une bouteille de vin mousseux, « au cas où la bouteille de champagne n’aurait pas été suffisante ».

Emile sourit à cette dernière précision de Zia illustrant les propos aimables de son référent familial.

– « On a tous un peu parlé de la pluie et du beau temps. Martine et Jean ont rapporté mes dernières avancées scolaires ainsi que les détails de ma vie chez eux pendant toute la période où mon père n’a pas pu venir me voir. Ils ont aussi relaté la fin des études de Linda, et sa vie à Londres depuis les deux dernières années. Elle avait terminé son DESS* et avait trouvé un emploi, là-bas, dans le commerce international. Elle était venu leur rendre visite pour une semaine de vacances. Ils étaient ravis de la voir, et moi aussi j’étais heureuse qu’elle soit parmi nous. On ne la voyait pas souvent depuis qu’elle vivait là-bas. Elle me manquait beaucoup. »

Zia interrompt momentanément son récit et se penche pour attraper une bouteille d’eau et deux verres en plastique dans le sac à dos posé à ses pieds. Elle tend un verre à Emile. Tous deux se réhydratent avec un plaisir non dissimulé. Le rythme de la journée n’a pas épargné leur soif. Après s’être essuyée la bouche du revers de la main, elle reprend le cours de son histoire.

– « À la fin du repas nous nous sommes dirigés vers la terrasse pour un dernier café, accompagné d’un digestif ; une « petite poire dont vous allez me dire des nouvelles», comme l’a précisé Jean. Puis Linda a démarré un ping-pong avec son père, Martine est retournée à l’intérieur pour débarrasser et s’occuper de la vaisselle, et papa m’a prise à part pour me raconter comment il avait remonté le fil de ses origines. J’avais juste quatorze ans à ce moment là, mais je me souviens encore de chaques détails.
Il m’a expliqué que lorsqu’il avait quitté la maison, en avril 2008, il s’était rendu dès le lendemain matin dans les bureaux administratifs de l’Aide Sociale à l’Enfance.* Il espérait enfin en apprendre plus sur lui, mais sa déception avait été bien grande. Tout ce qu’on avait pu lui donner comme renseignement ce jour-là, c’était que ce serait compliqué de revenir à ses origines car l’administration ne disposait que de très peu d’éléments concernant sa venue au monde.
Après cette cruelle confirmation de l’ASE*, papa avait dû recommencer tout un tas de démarches compliquées. Pour accéder aux informations qui les concernaient, lui et sa sœur, il avait été obligé de contacter un nombre important de services officiels : le centre communal d’action sociale, le service interministériel des archives de France, les archives de l’assistante publique, la commission d’accès aux documents administratifs...* Il me donnait plein de noms compliqués ; je n’y comprenais rien. Mais au bout d’un moment il en est venu au fait. Comme sa mère biologique avait accouché sous « X », papa n’arrivait pas à remonter jusqu’aux réelles conditions de sa naissance. Alors après des années de recherches, il a fini par être dirigé vers le CNAOP*. Ça lui a facilité les choses parce qu’ils étaient en lien direct avec le président du conseil général, qui a pu se faire communiquer tous les documents liés à la naissance et à l’identité de sa vraie maman.
Mon père a dû malgré tout patienter encore de longs mois avant d’apprendre que sa mère était malheureusement décédée en février 1955 d’une méningite foudroyante, et qu’elle n’était pas mariée. Mais comme elle ne s’était pas opposée de son vivant à la levée du secret de sa naissance, mon père pouvait enfin être tenu informé de son identité. Quelques semaines plus tard, il a reçu confirmation par courrier officiel qu’il avait obtenu l’autorisation de venir consulter son dossier, à condition de bien vouloir fixer un rendez-vous à l’avance. Papa m’a dit qu’en recevant cette lettre, il a fait des bonds comme un cabris pendant des heures... 

–  Et alors, ton papa a pu savoir ce qu’il y avait dans ce dossier, en définitive ? », interroge Emile, suspendu aux paroles de Zia.

Alors qu’elle s’apprête à répondre, un klaxon de voiture retentit au détour du virage, rompant le fil de leur conversation. Alors qu’un véhicule gris s’avance dans leur direction, Zia reconnaît rapidement le vieux 4x4 de Jean. Arrivé à leur hauteur, il tourne pour traverser la route et s’immobilise devant eux. Martine en sort, agitée.

– « Oh là là », s’exprime-t-elle en se précipitant sur Zia pour la prendre dans ses bras. « Ça va ma puce ? »

Sans attendre sa réponse, elle enchaîne :

– «  Et bien alors ? Qu’est-ce que tu faisais depuis tout à l’heure ? Ça fait plus d’une heure qu’on attend ton coup de téléphone. On était inquiets avec Jean. Il ne faut plus nous faire des trucs pareils, Zia ; d’accord ? Tu nous préviens quand tu sais que tu vas être en retard. », la sermonne-t-elle.

Avant même que Zia ait eu le temps de s’expliquer, Martine se tourne vers Emile :

– « Bonjour, Emile.

–  Bonjour Madame », répond Emile en se levant du banc pour lui serrer la main.

– « Allez ma puce, venez au chaud à la maison. Vous avez l’air gelés », leur lance Jean en s’approchant d’eux.

– « Bonjour Monsieur », le salue Emile.

– « Bonjour Emile », lui répond-il en retour. « Allez, venez vous installer dans la voiture. Je vais prendre vos bagages. »

Alors que Jean charge les sacs dans le coffre de son véhicule, suivi par Zia et Martine, le vieil homme est surpris par l’amitié presque chaleureuse que lui manifestent ces gens qu’il ne connaît pas. Il se rappelle du portrait que lui en a campé Zia. Leur gentillesse est effectivement palpable dès le premier abord. Ils l’ont toutefois appelé directement par son prénom, ce qui dans ses principes d’éducation relève d’une familiarité dont il n’a pas l’habitude.

Une fois tous confortablement installés dans l’habitacle, ceintures attachées, Martine relance Zia :

– « Mais qu’est-ce-que vous faisiez donc, depuis tout à l’heure ? »

– « On s’est assis sur le banc pour se reposer. Emile avait besoin de reprendre son souffle et de détendre ses jambes. On en a profité pour discuter un peu. Ça a été une journée assez compliquée, tu sais. Heureusement qu’on a rencontré Jérôme et qu’il a pu nous conduire jusqu’ici avec son fourgon. »

– « Oui, je sais que ça n’a pas été facile pour vous deux », concède Martine.

Ils ne roulent que quelques minutes avant de commencer à décélérer. Ils freinent puis manoeuvrent pour s’arrêter devant un imposant logis à étage, entouré d’un vaste jardin. Martine ouvre sa portière, imitée par les autres passagers du véhicule. Cependant que Jean active l’ouverture du portail automatique à l’aide de sa télécommande, Emile longe la partie du muret menant au portillon, face à l’entrée principale de la maison. Son regard se pose sur la petite plaque métallique de la boîte aux lettres, sur laquelle figurent les noms de famille de Martine et Jean.

Monsieur Jean Teulier

Madame Martine Goudier-Teulier

et leur fille, Linda

Le vieil homme se fige. « Goudier » ! Ce nom remonte du tréfonds de sa mémoire et provoque une déflagration dans sa tête, aussi puissante qu’un coup de tonnerre. Il ressort du fin fond de son histoire et le submerge comme les vagues déchaînées déferlant sur les quais, les jours de grande tempête.

Les yeux hagards, il se retourne vers Zia, postée juste derrière lui. À son expression, elle comprend qu’il vient de lire le nom, inscrit sur la petite plaque métallique.

« Goudier… », dit-il d’une voix à peine audible. « Goudier... », répète-t-il, le souffle court. « C’est le nom de… 

–  Votre sœur, Denise », le coupe Zia, posant sa main sur celle du retraité. « Martine est sa fille. »


 

* Citation de Frédérique Deghelt – Romancière française - « La grand-mère de Jade » (2009)

* OMS : Organisation Mondiale de la Santé

* DDASS : Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales

* DESS : diplôme d'études supérieures spécialisées

* ASE : Services Départementaux de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE)

* CADA : Commission d’Accès aux Documents Administratifs

* SIAF : Service interministériel des Archives de France

* CCAS : Centre Communal d’Action Sociale

* CNAOP : Conseil National d'Accès aux Origines Personnelles

(1)  Source : Ouest-France / AFP – (19 février 2020)

CHAPITRE 12 - Deuxième partie


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