Édouard Glissant | Gabelles, V, VI, VII

Publié le 28 avril 2020 par Angèle Paoli



Roberto Matta, eau-forte en couleur
pour l'édition originale numérotée
duSel noir d'Édouard Glissant,
éditions du Seuil, 1960
(35 exemplaires, papier vélin neige)

GABELLES, V

C omme s'enfuit ce sel dans la forteresse du jour

Comme tarit le sel dans la main où la mer

A mis l'écume de son sein

Et nul n'épuisera la nuit, nul en cette main

Ne boira l'amour,

Ainsi ai-je levé de votre cendre les fagots, en vain

Gardé vos granges, vos moissons, et vos resserres closes,

Et vide fut l'aurore et plus tarie la rose.

GABELLES, VI

I l n'est bruit que du sang que la mer convoya. Il n'est tempête que de sang.

L'amère odeur nous vient, respirez-la, mes houles. Il n'est bruit

Que de l'obscur encens des peuples qu'on a pris au feu de notre temps

Qui meurent à porter l'épais des mers et le relent

De très hautes planètes.

GABELLES, VII

A insi près des rocs jadis lancés au ciel, qui tombèrent

Comme jeux tristes d'un titan ou écumes de cet amour

Je vois l'air palpiter de brûlures, je vois le chaume

La terre fraîche où fut mis le sel, l'écurie des vagues

Pour un cheval qu'on taille, qui hennit parmi les flammes

Pour un cœur qu'on lacère et qui s'ensable doucement.

Tels les jouets farouches d'un cyclone, ensevelis.

Édouard Glissant, " Gabelles ", Le Sel noir [éditions du Seuil, 1960], éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard n° 175 , 1983, pp. 102-103. Préface de Jacques Berque.