L'autre soir, j'ai eu un apéritif avec Bernard, c'était chez Christian, le propriétaire oisif du petit bar à vin actuellement fermé et confiné, il y a encore quelques bouteilles à ouvrir en semi-cachette. Bernard est un gars du coin. Pur, réel, dur. Un Médocain de cow-boy. Une tête de style Lee Van Cleef, de petites moustaches bien taillées, des bras de bûcheron, un torse GI, un bagoutiste de routard. Capuchon toujours placé sur la tête, cigarette roulée souvent jusqu'au bec. J'aime Bernard. Il a été l'un des premiers à m'avoir causé dans ce village parfois peu accueillant. Il m'a même payé une bière un soir, c'est-à-dire. Ensuite, nous nous sommes affrontés plusieurs fois aux fléchettes, et j'ai mis mon plus grand honneur à le battre régulièrement et à le faire payer pour la tournée.
Un homme des bois, pas de la mer, comme beaucoup ici. L'autre soir donc, alors que la tempête faisait rage depuis trois jours, Bernard nous a dit que le lendemain, à l'aube, il allait ramasser des champignons. Pas n'importe laquelle: les girolles. Délices de sous-bois brun orangé, qui s'ouvrent comme des fleurs et se mangent avec une pincée d'ail et de persil, allongé sur la poêle. , Je lui ai dit.Il faut dire que Bernard est sécateur, jardinier, et bien d'autres métiers dont il ne nous parle pas, mais qui ont toujours à voir avec la forêt. Parce qu'ici, plus que l'océan, c'est partout, tout le temps. Un réservoir de rêve, une marée verte et boisée. Une armée y est implantée en tant que résistants contre l'assaut des vents, du sable et des tempêtes. Droit comme un je, immobile et fier.
- " Quoi, des giroles en ce moment !!! Impossible
-
Mon petit bonhomme, je connais ces forêts par cœur, je connais même tous les arbres de Lacanau et je te dis que demain il y aura des girolles, c'est sûr. "
Nous sommes même au cœur de " Plus grande forêt d'Europe, plantée presque en une seule fois sur toute sa surface au milieu du XIXe siècle, la forêt mono-spécifique des landes girondines est un paysage totalement artificiel, fruit d'une volonté politique et économique. En fait, les marais qui occupaient toutes ces terres ont été nettoyés afin de pouvoir être valorisés par une production rentable; le choix du pin maritime, une essence cohérente car déjà présente en grand nombre sur le littoral, a permis d'anticiper la valorisation par le taraudage et la vente de bois sous diverses formes " nous apprenons sur le site Web du département. L'exploitation a connu des périodes de grande rentabilité, mais aussi des crises brutales, à commencer par la série des incendies dévastateurs de l'été 1949. Après ce premier traumatisme, la forêt est replantée, des systèmes de pare-feu sont mis en place. Puis il y a eu les tempêtes, dont les plus dévastatrices ont été Lothar et Martin en 1999, Klaus en 2009. Pourtant, il y a environ 2000 ans, cCertaines zones du littoral (Lacanau, Arcachon, Biscarrosse) étaient déjà boisées, mais la majeure partie de cette forêt était marécageuse et insalubre. En se déplaçant sous l'effet du vent, le cordon côtier ralentit l'écoulement vers l'océan des nombreuses rivières et le sable envahit l'intérieur des terres. Une sorte de forêt primaire en somme, dont il reste encore quelques hectares et où je soupçonne Bernard d'aller cueillir la divine chanterelle.
Auparavant, sur les landes de terre, les habitants vivaient de maigres récoltes et élevaient des moutons, ce qui permettait de fertiliser la terre. L'ère des échassiers, seul moyen efficace de traverser ces zones humides tout en gardant les pieds au sec, prend fin vers 1786 et la décision de l'administration royale d'expérimenter la culture du pin maritime pour fixer la dune et exploiter la résine. C'était l'époque du gemmage et de la résine, ces hommes qui vivaient au fond des bois pour récolter, directement sur les troncs, l'oléorésine. Un mélange d'eau, principalement de pluie, et d'impuretés solides, prend le nom de " gemme Qui, après clarification, porte le nom de térébenthine. Aujourd'hui cette activité ayant perdu tout intérêt économique, le pin des landes est exploité pour la production de bois destiné à la fabrication de meubles, parquets, lambris et pulpe.
Ce dimanche, je suis allé marcher ma solitude sous les 25 mètres de haut Pinus pinaster, le pin maritime qui aime s'imprégner des embruns. Le mimosa et les arbousiers sont dormants, les vols de nuages de pollen jaune d'or de mars se sont taris. Des écureuils gambadent, le vent joue entre les troncs, les forêts se tournent vers les dunes. J'ai pensé à Nazim Hikmlet: " Vivez comme un arbre seul et libre, vivez comme un frère comme les arbres d'une forêt "Avant que tout cela ne soit rasé? Non loin de là, dans les Landes de Gascogne, un immense projet de ferme photovoltaïque, le plus grand d'Europe, sera construit dans quelques années. J'ai publié un rapport en 2018. Guillaume Rielland, avocat avec le Syndicat des sylviculteurs du Sud-Ouest, y a vu " une course aux échalotes des grandes entreprises englouties dans un vide juridique et un Etat qui ne réglemente pas et laisse faire quoi que ce soit. " Le syndicat et ses 6000 membres, représentant plus de 65% de la forêt privée, ne peuvent que constater en même temps "Une disparition de 1 200 hectares de forêt chaque année, à laquelle participent ces types de projets, de plus en plus fréquents "Ce qui emportera bientôt notre épingle du jour. Et peut-être les girolles, que Bernard n'a toujours pas rapportées.
A demain, si Covid le veut.
Anne Sylvestre - Arbres verts - chanson française © chanson française
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