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J – 32 : « Mésaventures en terre inconnue »

Publié le 04 mai 2020 par Elisabeth Osram

J – 32 :  « Mésaventures en terre inconnue »

04 mai 2020 Chambre-bureau – Domicile familial - 8h20

Quinze jours ! Des heures cumulées à tomber un travail harassant. Cela m’a non seulement permis de remonter le fil chronologique de l’ensemble de mes chapitres, mais de nourrir quotidiennement le journal de bord de nouveaux billets, complémentaires du roman que je construis au jour le jour.
Les poches violine apparues sousmes yeux attestent clairement du caractère insensé de mon projet.Une satisfaction cependant : j’ai pu dans l’entre-deux laisser libre cours à mon vague à l’âme et m’exprimer sur une crise d’égo dont l’intensité ne m’avait pas autant remuée depuis des mois.
S
avoir se soumettre à une bonne dose d’auto-critique s’avère cependant des plus utiles ; elle remet les idées en place et évite de se prendre pour Ernest Hemingway !

Le tout est de ne pas tomber dans l’excès ni la flagellation, au risque de laisser le champ libre à la fausse modestie ou à l’auto-satisfaction. Revêtir ses productions de l’habit littéraire tout en assurant à qui veut bien l’entendre que les mots ne sont pas maîtrisés revient à s’affubler d’oripeaux. L’ensemble se pare de clinquant et ressemble à un mauvais déguisement.
Alors à moins de souhaiter ressembler à « Monsieur du Corbeau » *,
mieux vaut rester sincère sur la qualité du plumage. C’est ce que je m’adjure de faire à l’avenir. Plus d’auto-flagorneries. Afin de me rassurer, je puiserai dorénavant dans mon courage et suivrai pas à pas le chemin que je me suis assignée à suivre, en toute humilité. Les lecteurs n’auront plus à percevoir la couleur de mes démons. Je me le jure intérieurement, et leur en fait la promesse.

Le chapitre treize est en cours d’élaboration. Il n’est pas encore achevé. Je pense avec gratitude à toutes celles et ceux qui, depuis deux semaines déjà, attendent la suite des péripéties de mes personnages avec la plus grande des patiences. Je ne les en remercierai jamais assez.
À présent, je me dois de leur donner satisfaction. Cela devient impératif, sans quoi le rythme de l’histoire s’en trouvera altéré.
Point trop n’en faut dans l’attente. Le suspens ne peut supporter trop longtemps
qu’aucun élément de réponse ne vienne prestement rompre la tensionD’autant que la suite de l’aventure vaut son pesant et se trouve juste là, suspendue au bout de mes doigts, en veille, secrètementenfouie au fond de mon crâne. Je n’ai plus qu’à ouvrir la porte pour me rendre à son chevet et la sortir de la léthargie dans laquelle elle s’est réfugiée.
Consciente qu’un tel enjeu ne supportera aucune erreur, j’essuie subrepticement la goutte de stress coulant le long de ma tempe et m’enjoint à activer les touches de mon clavier. Il faut faire vite, mais bien. Un défien soi, même pour les plus aguerris.

La pause repas, attendue comme le Messie, vient ponctuer ma journée d’un bonheur sans failles. Revenir aux plaisirs simples est d’une importance capitale. C’est là, à cet endroit précis, que se tient la source de tout équilibre. Ici, autour de cette table ronde, au coeur de la cuisine familiale. Tout y est reconnaissable, et chaleureux. L’être qui chaque jour la met en mouvement ne fait que renforcer son caractère apaisant. La nourriture se faitVie. L’amour aussi.
Je m’abandonne un court instant au plaisir de la contemplation de mon époux, s’activant devant la poêle à frire, vêtu d’un adorable tablier blanc à motifs, et à volants. Un souvenir que les grand-parents de notre fille avaient rapporté d’Alméria *, il y a tout juste douze ans.
Tout de coeurs vêtu, mon mari ressemble à une devanture de mercerie. Je me dis secrètement qu’il pourrait largement contribuer à augmenter la fréquentation du magasin, rien qu’en se retrouvant exposé en vitrine.
Cela me fait
céder au rire, sans que ma moitié ne comprenne pourquoi. Je me garderai bien de le lui dire. Il en découvrira la raison en parcourant les prochaines lignes de mon journal.

Nous nous installons et partageons un succulent poulet tikka masala *, arrosé d’un petit verre de vin frais ; ce qui je l’avoue, contribue à me redonner le tonus dont je manque un peu ces derniers jours.
Ce qui ne m’empêchera pas
une demi heure plus tard de succomber à l’appel du canapé. Ne jamais se fier à la fraîcheur renégate d’un vin italien est la meilleure leçon que cette journée m’aura enseigné.

Les paupières encore gonflée et les cheveux en bataille, je me traîne jusqu’à l’escalier et monte lourdement les marches pour rejoindre mon bureau. Je ne suis pas spécifiquement attirée par l’alpinisme, et pourtant cette seconde partie de journée me fait l’effet d’une expédition sur le mont Everest.
Comment faire face aux éléments, alors que je suis si peu équipée ? À la moindre faille, je risque la chute. Les lecteurs attendent de voir si gamelle il va y avoir, et comment mes personnages vont bien pouvoir se sortir de l’ornière. Quant à l’auteure que je suis, je demeure soumise au manque d’expérience. Survivre au beau milieu de la tempête en territoire inconnu revient à viser l’exploit.

Toujours est-il que je m’y attelle, transpirant tout l’après-midi. En début de soirée, le chapitre treize est achevé ; et pour ce qui est du suivant, je viens de m’en coller un peu plus sur le dos. Pourquoi pas, tiens. Allons-y gaiement !
De nouvelles révélations vont venir de nouveau bouleverser l’existence de mes protagonistes, et la mienne. Les rebondissements sont partout, envahissant mon quotidien, et le leur.
La vie est ainsi faite : pétrie de délicieuses invraisemblances. Elle est à elle seule un formidable chamboulement ; un désastre merveilleux. *

* « Monsieur du corbeau » : expression tirée de la célèbre fable de Jean de la Fontaine : « Le corbeau et le renard » (1668).

* Alméria : « Almérie » en français, est une ville d’Espagne, capitale de la province d’Almería en Andalousie.

* Poulet « Tikka Masala » : morceaux de poulet marinés dans des épices et du yaourt, cuits dans un four tandoor puis dans une sauce de masala (“mélange d’épices”).

* Tiré d’une citation de « La Part du mort » - Auteure : Yasmina Khadra (2004)

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