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Bienséance létale

Publié le 11 mai 2020 par Hesperide @IsaBauthian

Râlerie initialement parue dans le Lanfeust Mag de juin 2018.

Janvier 2007*, 7 heures du matin. On sonne à ma porte. C’est un pote d’un pote, venu me prendre en voiture pour rejoindre les copains au Festival d’Angoulême. En route, il apparaît vite que nous n’avons pas grand-chose à nous dire, mais le trajet n’est pas si long que la pluie et le beau temps ne suffisent à le remplir. De toute façon, le monsieur s’occupe bien tout seul. Il est ravi de me détailler ses connaissances en arts martiaux (surtout les bases, bien que je les aie déjà), de me parler de ses BD préférées (on passe viteuf sur les miennes), et de balayer avec le sourire ses problèmes de communication avec sa femme (c’est comme ça, le mariage !). Bon an, mal an, nous arrivons au port sans qu’il ne soit parvenu à me gonfler, ce qui prouve que, même si je ne le choisirais pas pour animer un café philo, c’est un gars plutôt pas chiant.
Nous déchargeons la voiture.
J’attrape ma valise. Il se précipite :
— Attends, je te la prends !
Je réponds :
— Oh, ça ira. Elle est super légère.
Une main se pose sur la poignée que je tiens déjà.
Et tire.
Je lève les yeux sans comprendre. Croise les siens, pleins d’une gentillesse teintée de fierté pavlovienne. J’insiste :
— C’est bon. Il n’y a que des fringues dedans.
Il tire de nouveau.
— Lâche ma valise, j’articule, alors qu’il tente soudain de me l’arracher.
Il obéit. Sourit. Secoue un peu la tête et lève les yeux à son tour, au ciel.
Son « Ahlala, elle est mignonne » muet raisonne dans la place Saint-Martial.

Ce fut ma première rencontre frontale avec le « sexisme bienveillant », et aucune discrimination, aucun « sale pute », aucune main au cul et aucune vanne misogyne ne m’a jamais autant salie que cette scène que des tas de naïfs de plus ou moins bonne foi résumeront à un innocent malentendu.

Sensibilités individuelles mises à part, le sexisme bienveillant est une des pires vomissures contre lesquelles on se trouve contraint de lutter lorsqu’on bosse pour l’égalité des sexes. Tout simplement parce que, dans le cadre des atteintes contre les femmes, dont le caractère souvent insidieux n’est plus à prouver, son antinomie joue pour lui.

Le sexisme bienveillant, c’est celui du « les deux genres sont complémentaires » (et le masculin est plus actif, plus ambitieux, plus capab… nan j’l’ai pas dit !) C’est celui du « je pense que les femmes sont supérieures » (et nous allons les protéger, ces douces créatures, à leur corps défendant s’il le faut, du coup filez-nous donc le pouvoir, ça sera plus pratique). C’est celui de la galanterie, cette insulte tant au féminisme qu’à l’intelligence, car « Moi j’aime ça, qu’on s’occupe de moi » (Le rapport avec la choucroute est porté disparu. Si vous mettez la main dessus, contactez la rédaction), « Ma copine préfère quand je paye » (Ben PAYE, ALORS, DEMEURÉ ! Et fous la paix aux autres ! T’as aussi besoin de généraliser sa manie de te péter les points noirs, ou on peut être rationnel deux minutes et invoquer les goûts et les couleurs ?!), et « Si c’est ça, la prochaine fois, la porte, je la lui lâche dans la gueule ! Haha ! » (Alors en effet, si tu es un gros taré qui attaque les mecs à coup de vantaux, à tout prendre, je veux bien que tu continues à être galant. Mais sinon, ce qu’on peut faire, c’est étendre ta non-agression à l’ensemble de la population, et appeler ça « respect »).

Le sexisme bienveillant, c’est également celui du médecin qui vous balance du « C’est nerveux, madame » et déplorera votre décès qu’il n’aurait ja-mais pu prévoir (Ma grand-mère vous salue bien de sa tombe. Elle avait 52 ans.)

Le sexisme n’est jamais bienveillant. La gentillesse, celle qui est à l’écoute des besoins des INDIVIDUS, elle, l’est. La différence entre les deux se résume à un mot : empathie.

Non, je déconne, à plusieurs : « Empathie, intelligence de base, et un chouia de personnalité. »

Bienséance létale

* : Je n’ai plus la moindre idée de l’heure, encore moins de l’année, mais commencer par une date est une bonne stratégie narrative.

L’article Bienséance létale est apparu en premier sur Isabelle Bauthian.


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