Le jour d'après

Publié le 21 juillet 2008 par Corcky



Ma femme est une idéaliste.
Je m'en rends compte un peu plus chaque jour, quand elle achète des ampoules à basse consommation chez Ikéa, quand elle éteint les lumières que j'ai laissé allumées pour rien (je suis le réchauffement climatique à moi toute seule), quand elle fait bien gaffe à ne pas faire couler l'eau pour des prunes, quand elle m'engueule parce que j'ai oublié de mettre l'emballage des yaourts dans la poubelle de recyclage.
En plus, ma femme, elle a une influence certaine sur notre gamine.
La môme, elle préférerait plonger son nounours dans un bain d'acide sulfurique plutôt que de jeter un papier par terre.
Pourquoi?
- Parce que ça fait du mal à la Terre, m'explique-t-elle avec la patience dont on fait preuve quand on explique à un militant UMP que les chômeurs ne sont pas tous des parasites qui usent et abusent du système, tout juste bons à être rapidement euthanasiés aux frais de leurs familles.
J'en conclus qu'il y a, au Nid Douillet, un putain de complot écolo-militant dirigé essentiellement contre ma petite personne.
Faut dire que moi, je suis une serial-pollueuse irrécupérable.
Je suis infoutue de me rentrer dans le crâne que les emballages en plastique vont dans la poubelle de gauche quand les bouteilles en verre vont dans celle de droite.
Je prends les panneaux solaires pour des accessoires tout droit sortis du magazine Pif Gadget.
La fonte des glaces, c'est moi et tous les bains brûlants que je me fais couler après le boulot.
La déforestation planétaire, c'est myself, avec les tonnes de papier non-recyclé que j'utilise pour imprimer mes conneries.
Le trou de la couche d'ozone? Ma pomme (j'utilise un spray pour cheveux frisés qui dégage autant de CFC qu'une usine de frigos chinois).
Du coup, tu penses bien que ma femme est passée à la vitesse supérieure.
Elle a décidé de m'inclure dans un vaste programme de rééducation comportementale à visée éducative et thérapeutique.
C'est sans doute pour ça qu'hier soir, elle m'a vivement encouragée à regarder avec elle un documentaire passionnant et pas du tout orienté.
Ma vie sans pétrole, que ça s'appelait.
C'était l'histoire d'une famille de Finlande, les Webster (ça fait pas très finnois, comme nom, mais c'est parce que le mari est anglais, en fait, j'ai mis du temps à piger moi aussi), qui décide de se passer complètement de pétrole pendant un an, vu que la catastrophe climatique à venir est surtout provoquée par les milliers de petits gestes du quotidien dont chacun est responsable et qui sont liés, de près ou de loin, à cet hydrocarbure très vilain.
Du coup, John Webster, le père de famille, prend sa petite caméra et se met vaillamment à filmer sa tribu dans sa longue descente aux enfers lutte acharnée contre la pollution industrielle.
Au début, y'a une certaine logique dans la démarche de ces braves Finlandais partis en croisade contre la fin programmée de la civilisation humaine (parce qu'ils ont sans doute vu Le jour d'après une trentaine de fois, et que ça les a fait flipper grave).
On commence par décider de ne plus prendre la voiture.
Parce que la voiture, ça consomme de l'essence.
Et que l'essence, ça vient du pétrole.
Du coup, madame se tape neuf bus différents dans la journée (entre le moment où elle se lève et celui où elle rentre enfin chez elle) et ramène les gosses de l'école à neuf heures du soir.
Je ne t'explique pas à quel point elle est crevée, mais c'est pas fini, vu qu'elle doit encore laver les chiards, préparer le dîner, faire les devoirs, congratuler son mec pour l'idée géniale qu'il a eue et terminer sa soirée affalée dans le canapé comme une grosse otarie bourrée à la bière.
Du coup, on imagine bien le gentil mari aux brillantes illuminations écolo finir sa soirée en compagnie de la Veuve Poignet, vu que je suis pas sûre que Madame ait encore une once d'énergie pour remplir convenablement son devoir conjugal.
- Chérie, pour fêter notre première journée sans voiture, que dirais-tu d'un bon gros câlin bien cochon?
- .....
- Mon amour? Viens par ici que je te montre que quand on a pas de pétrole, on a des idées!
- Nan, chéri, tu te touches. Moi je vais dormir douze heures.
Et tout le reste est à l'avenant.
Parce que le pétrole, ne crois pas qu'il n'y en ait que dans ta bagnole.
Ha ha.
Petit joueur.
Non, le pétrole, y'en a dans tous les sacs en plastique.
Dans les tubes de dentifrice.
Dans la moindre connerie que tu achètes à Carrefour ou chez Auchan.
Dans ton maquillage à la con.
Dans les jouets de tes marmots.
Du coup, notre brave famille Webster se met à fabriquer son propre dentifrice avec une recette trouvée sur internet.
Au final, ça donne une sorte de bouillie qui ressemble vaguement à du sperme de yack, et dont les gamins se tartinent les quenottes avec des hauts-le-coeur assez pathétiques.
Et le P.Q?
Tu sais qu'il est impossible de trouver des rouleaux de P.Q qui ne soient pas emballés par six ou par douze dans du plastique?
Papa Webster, il a une solution toute fraîche et toute mignonne à ce problème.
Et si on se torchait avec les doigts, comme en Inde?
Mmmmm?
C'est pas une idée géniale, ça?
Mais maman Webster, elle se voit mal passer son temps à se laver les mains après avoir fait un gros caca, surtout que ça rallongerait méchamment la dépense en eau, et que ça, du coup, ça en tuerait combien, des ours polaires? Hein?
Mais notre ami John a vachement envie d'aller plus loin, et c'est comme ça qu'on le voit faire régulièrement trois cent bornes pour remplir sa voiture de carburant bio (oui parce que quand même, il se rend compte que sans la voiture, sa femme est décidément trop fatiguée pour pratiquer la bête à deux dos, et ça, c'est pas possible).
John, il aurait bien renoncé au chauffage et à l'eau chaude, aussi.
Mais faut dire qu'en Finlande, l'hiver, on a un peu tendance à se geler les couilles, et il s'est dit que la DDASS allait moyennement apprécier le coup des deux petits garçons retrouvés congelés dans leur lit.
Alors il fait quand même quelques concessions, et heureusement pour nous, les spectateurs, parce que ça nous permet de les regarder se débattre pendant une heure d'émission, et que ça vaut tous les Koh Lanta du  monde.
Au bout de douze mois, l''expérience se termine, et John s'échauffe les neurones sur son ordinateur portable (ça, il l'a curieusement pas foutu à la poubelle) à calculer combien de CO2 il a réussi à économiser.
Aussi fier qu'un épagneul breton qui vient de te rapporter le cadavre encore chaud d'une perdrix, il annonce à sa femme qu'ils ont dépensé moitié moins de CO2 que l'année précédente, et que ça, c'est quand même assez génial.
- Du coup, chérie, je me suis dit qu'on pouvait continuer à vivre comme ça, parce que moi je ne pourrai plus revenir en arrière, maintenant.
Et là, chérie, elle le regarde comme s'il venait de lui roter bruyamment à la gueule.
- Bon ben laisse tomber, j'ai rien dit.
A la fin du film, ma chérie à moi, elle m'a regardée amoureusement, le même genre de regard qu'elle me lance quand elle a envie de s'enfermer dans la chambre avec moi et d'envoyer la gamine jouer à la poupée sur Pluton pendant deux bonnes heures.
Je l'ai regardée aussi, mais différemment: de la même façon que je toise un de mes patients quand je le chope avec deux bouteilles de
Zubrowka et trois grammes de cocaïne dans les poches.

- N'y pense même pas.

Nan mais faut pas déconner, non plus.

Je veux bien faire des efforts et arrêter de balancer les bouteilles d'Evian dans la poubelle de droite.

Mais je te prie de croire que c'est pas demain que je vais commencer à m'essuyer les fesses avec les doigts.