Depuis longtemps mon jardin ressemblait davantage à un fourré de ronces et d’herbes folles plutôt qu’à un petit coin de terre discipliné… Je lui trouvais suffisamment de charme ainsi, avec son air bravache devant ma bêche posée depuis des lustres contre un muret, et carrément rigolard au ronronnement poussif de ma tondeuse à gazon, qui ne coupait d’ailleurs même pas l’ombre d’une pelouse, occupée qu’elle était à laisser de la place aux pissenlits, poussières et cailloux !
Il aura fallut cette pandémie et cette obligation de « rester chez soi » pour que je décide un beau matin de mettre un peu d’ordre dans cette jungle de pacotille !
Ce ne fut tout d’abord qu’un vague projet de débroussaillage, histoire d’avoir bonne conscience en étant active et efficace. Armée de pauvres outils remisés depuis des années au fond du garage, j’entrepris gaillardement mon labeur, en ayant pris soin de consolider ce qui pouvait l’être, avec force rubans adhésifs, ficelles et malices…
La brousse éradiquée découvrit mille trésors jusqu’ici bien cachés. Un talus de terre grise s’agrippait au jardin du « dessus », celui-là plus fréquentable… Fainéantise ou esprit créatif, à vous d’en juger, l’idée d’en faire une rocaille fleurie fit son chemin, et j’entassais plus bas tout ce que ma pioche déterrait qui, plus tard, pourrait se transformer en décoration de fortune : gros galets, branches sèches, cailloux marbrés ou petits rochers moussus, tandis que je lorgnais déjà sur quelques plantes qui se pâmaient bien trop à l’étroit dans leurs pots de terre bleus posés dans un désordre calculé sur ma terrasse…
Aussitôt dit, aussitôt fait, c’est que je n’ai que peu de patience, la réalisation est parfois déjà en cours alors que l’idée s’est à peine forgée…
Mon jardin s’est aujourd’hui assagi, à son corps défendant bien évidemment, si bien qu’à peine ai-je tourné le dos qu’il en profite pour inviter la première ronce de passage… Les garces elles-mêmes abritent de leurs griffes assassines toute intruse en quête de terre hospitalière, que la bécasse que je suis s’est empressée auparavant d’enrichir !… Ingratitude de la terre qui souvent donne l’avantage au chiendent plutôt qu’aux civiles plantations !
La nuit est maintenant tombée, mais jusqu’à ce qu’elle offre suffisamment d’obscurité pour que Morphée se glisse discrètement dans ses allées, je me suis enivrée de l’odeur de l’herbe coupée, de la terre abreuvée, j’ai respiré ça et là le parfum d’une rose ou, en frôlant la haie du potager, celui du blanc seringat. Les oiseaux m’ont fait une dernière aubade avant d’aller s’endormir, les petites lanternes solaires timidement s’éclairent, les moucherons s’y précipitent en brume piquetée… J’ai croisé un chat tigré, dont la lune avait déjà aiguisé le regard, il glissait en silence et marquât l’arrêt en m’apercevant… « Était il encore si tôt qu’on ne fut pas encore peinard pour débusquer mulots ou souris imprudemment en goguette à cette heure féline » ?… Sans davantage faire cas de moi, il poursuivit sa quête un peu plus loin, certain que la nuit aurait bientôt raison de l’intruse et lui rendrait son territoire de fauve des closeries de faubourgs…