J'ai grandi, au milieu des années 70, dans une campagne française encore durablement marquée par le souvenir de l'hécatombe de 14.
Bien sûr qu'à l'époque il restait de nombreux survivants mais quand vous vous déplaciez de village en village, ce qui vous frappait en premier lieu c'était la succession des monuments aux morts: chacun - même le plus petit village - s'était vu attribué sa propre stèle sculptée avec sa colonne interminable de victimes. Dans la grande moisson, personne n'avait été oublié.
Je sais bien qu'il y eut d'autres guerres affreusement meurtrières, sous tant de latitudes. Mais c'est celle-ci qui m'a le plus fait réfléchir. Peut-être parce que trois de mes grand-oncles y ont perdu la vie. Peut-être parce qu'un de mes arrière grand-pères a fait Verdun.
Je me disais: ok ils sont partis la fleur au fusil en croyant ceci, cela... après tout, tout le monde peut se tromper, c'est normal, mais quand même... il est bien venu un moment - après suffisamment de carnages, disons en 1915 - où de part et d'autre il était absolument clair que cette guerre n'aurait pas de vainqueur, que ses protagonistes s'étaient engagés dans un vaste processus d'auto-destruction massive et mutuelle.
Or en même temps que l'existence des mutineries de 17, je découvrais que le phénomène avait somme toute été très rapidement circonscrit: il n'avait jamais concerné qu'une part infime de nos soldats qui, dans leur immense majorité, s'étaient montrés parfaitement dociles.
A vrai dire, pour que quelques-uns en viennent à se révolter il avait fallu que leurs chefs poussent sacrément loin le bouchon de la connerie.
Le poilu n'ignorait pas que la prochaine attaque, au cours de laquelle il avait de bonne chance de trouver la mort, ne servait à rien. Pourtant, à l'heure dite, il sortait de sa tranchée. Il se sacrifiait.
Par devoir patriotique? Peut-être pour une infime minorité.
Mais qu'en était-il de l'immense majorité qui se sacrifiait elle aussi? Cette immense majorité qui ne tenait, j'en suis sûr, pas moins à la vie que moi qui, regardant depuis le belvédère d'aujourd'hui, ne comprend pas leur attitude,
Ils acceptaient de se sacrifier simplement parce qu'ils étaient résignés.
La guerre était en cours, or pour qu'elle se termine il fallait qu'elle se continue et pour qu'elle se continue il fallait que la tuerie se poursuive. Pas le choix.
Alors on accepte. Parce que c'est là autour de nous. Parce que c'est le bocal de réalité dans lequel nous sommes tombés et qu'il n'y en a pas d'autres.
Parce qu'au fond du fond de l'espèce je crois qu' a été intégrée, depuis des milliers d'années, l'idée selon laquelle notre réalité peut devenir un traquenard et qu'il n'y a pas vraiment à s'en étonner ou à se révolter. Juste à faire avec.
On se demande comment ils ont pu tenir si longtemps, jour après jour dans les tranchées. Certains pendant quatre années complètes.
On dit que le courage naît de la bravoure. Moi je crois plutôt que le courage est d'abord fabriqué par la résignation, qu'elle constitue la principale matière première de sa fabrication.
On ne sait plus pourquoi on se bat mais on se bat. Simplement parce qu'il y a un truc à faire continuer. Alors on le continue, sans espoir bien sûr mais qu'importe: il faut bien atteindre la fin de la prochaine minute, et de la suivante encore...Tout, autour, est justement organisé pour qu'on se batte: il y a des fusils, des adversaires sur lesquels tirer... Cela tombe plutôt bien finalement... Pour ce qui est des objectifs, de la finalité, il n'y en a pas, mais finalement est-ce pour nous étonner?...
Simplement un spectacle à assurer. La boutique de la guerre à faire tourner.
Le véritable sujet de l'Iliade, c'est l'emprise de la guerre sur les guerriers, et par leur intermédiaire, sur tous les humains ; nul ne sait pourquoi chacun se sacrifie, et sacrifie tous les siens à une guerre meurtrière et sans objet, et c'est pourquoi, tout au long du poème, c'est aux dieux qu'est attribuée l'influence mystérieuse qui fait échec aux pourparlers de paix, rallume sans cesse les hostilités, ramène les combattants qu'un éclair de raison pousse à abandonner la lutte. Ainsi dans cet antique et merveilleux poème apparaît déjà le mal essentiel de l'humanité, la substitution des moyens aux fins.'
Simone Weil, Oppression et liberté. Gallimard 1955
En marchant tout à l'heure dans la rue, me vient aux lèvres, sans prévenir, ce petit bout de 'l'Aventurier':
'... Avec l'ami Bill Balantine Sauvé de justesse des crocodiles'
Dans toutes ces histoires de super-héros, voilà bien ce qui au fond n'est pas tolérable: ce 'de justesse'.
Les super-héros sont systématiquement sauvés de justesse. A force de tant défier les lois de la probabilité, cela en devient vraiment déprimant, comme une insulte persistante à l'intelligence.
Je ne peux éprouver ni tendresse véritable ni sympathie pour ce genre de robots toujours artificiellement sauvés de justesse. Des robots? Pas des hommes en tout cas.
Du coup - du coup, mais allez vraiment savoir pourquoi - je me rappelle une phrase de C. qui m'avait, à l'époque où il l'avait prononcée, extraordinairement troublé.
Nous avions vingt ans, et, la soirée s'imprégnant d'un soupçon de nostalgie, nous en étions arrivés à ce point où défilait devant ...
Si on décide par exemple de dénombrer les matrices carrées de taille n comportant exactement deux '1' dans chaque ligne et dans chaque colonne ( avec partout ailleurs des zéros), c'est pour moi un problème neuf. Je n'y ai jamais réfléchi et peut-être même que personne avant moi n'y a réfléchi. Pourtant, on sent qu'il y a des relations à découvrir, on sent qu'il existe des liens originels. Je n'ai pas d'inquiétude: il existe forcément des choses à voir, à remarquer, à prouver. Les relations, les propriétés, les théorèmes concernant ce problème sont là depuis toute éternité comme la momie d'un pharaon dans une tombe restée inviolée: ils nous attendent, ils ne demandent qu'à être cueillis, ils ont été installés pour ainsi dire à l'aplomb de ce sujet avant même la venue sur terre du premier homme. Tout est là depuis toujours, des choses nous attendent dans l'ombre, il suffit de les découvrir. Les mathématiques ne sont pas un grand livre à f...
Je remercie Franck Antunes qui se trouve de fait à l'origine de cet article.
J'ai découvert, ce matin, la page de Franck à la faveur d'un billet qu'il a publié sur Le Club de La Cause Littéraire au sujet de sa lecture de 'John Barleycorn' de Jack London (1913).
Parcourant son mur, je découvre qu'il est fan de Bruce Springsteen, ce qui nous fait un point commun. Voulant me manifester auprès de lui, autrement que par un simple 'j'aime', j'ai écrit la première chose qui m'est passé par l'esprit, à savoir que je lui recommandais la lecture de 'Born To Run' l'autobiographie du Boss. Ce conseil - assez inutile car Franck a l'air d'être un vrai fan - m'a immédiatement fait repenser au grand hêtre pourpre.
Voilà ce que Springsteen en écrit vers la la fin de 'Born To Run', presqu'en guise de conclusion :
' Un soir de novembre, dans la période où j'écrivais ce livre, j'ai pris une fois de plus la voiture ...