Adeline Baldacchino | Le perroquet à la langue de bois

Publié le 17 juin 2020 par Angèle Paoli

LE PERROQUET À LA LANGUE DE BOIS L e perroquet avait la gueule de bois Adeline Baldacchino,
(extrait)
mais plus encore la langue.
Il n'en pouvait plus de répéter
à longueur de journée
des éléments de langage
du langage à perroquet
qu'on apprend dans les cages
pour bercer les oiseaux
que l'on croit idiots.
N'en pouvait plus de répéter
les mots dénués
de tout sens et même
de leur part de non-sens
de leur ferveur
et de leur brillance
de tout ce qui les rendait
lumineux et doux
fougueux et féroces
avides et nécessaires.
N'en pouvait plus de redire
des choses qui n'avaient
rien à dire
des mots sans portée
des mots comme on en dit
quand on ne sait pas quoi dire :
il se félicitait sans cesse
de bonnes actions
qu'il n'entreprendrait jamais
promettait sans cesse
d'entreprendre
de bonnes actions
qu'il ne réaliserait jamais
racontait sans cesse
de bonnes actions
dont nul ne se souvenait.
C'étaient des mots en boucle
parés de leur aura
de grands aras
des mots verts et bleus
qui sonnaient creux.
C'étaient des mots pâlis
par l'usage qu'on en fait
des mots salis
par l'usage qu'on n'en fait pas
des mots sans foi ni loi
qui ne disaient
rien de ce que l'on voulait entendre.
[...]
Le Chat qui aimait la nuit, 13 contes cruels et doux illustrés par Gaël Cuin, éditions Rhubarbe, 2020, pp. 93-94.