Magazine Journal intime

Chroniques d'Europe (20) - Cinéma, cinéma ...

Publié le 21 juillet 2008 par Audine
Entre une séance de cinéma et un livre, je choisis Bécassine qui offre l’avantage des mots et des images. Je me rappelle la coiffe blanche, le panier en osier pendu au coude, la robe verte et cet arrière goût, un peu « mais … comment peut on être persan ? ». La télé a longtemps été de la récupération en noir et blanc, le téléphone, objet de luxe parcimonieux, le cinéma était donc inconnu à l’Haÿ les Roses. Il me reste cependant, plus gravé dans ma cervelle que sur un disque de vinyle crachotant, la ritournelle limpide et irrésistible de la Mélodie du Bonheur, séance à laquelle la cousine de mon père nous a emmenés, un film sans trop d’aspérités pour cette future grande diplomate de la religion, puisque la petite autrichienne chantante ne quitte le couvent que pour aller au secours d’une famille sans mère. Do, le do, il a bon dos, ré, rayon de soleil d’or … Par la suite, grâce à Régine rencontrée en voyage linguistique, je rencontre vraiment le cinéma. Cette parisienne du 17e populaire, mesure un mètre 75, marche dans le ruisseau à mes côtés car elle est complexée – comme elle m’a fait du bien  – adore un mainate qui la snobe, et a décoré tous les murs de sa chambre avec Newman et Redford pour qui son cœur balance. C’est la saison de l’Arnaque et Butch Cassidy et le Kid est la quintessence du cinéma. Et puis il a fallu décider de la suite, après le bac, et ma mère étant d’avis qu’il valait mieux que j’ai un diplôme me permettant d’être le plus tôt possible autonome – et moi n’ayant aucune idée plus pertinente que contestataire professionnelle – j’ai atterri à l’IUT de Sceaux, près du lycée Lakanal, en technique de commercialisation. Autant mettre une essoreuse 3 000 tours minute au milieu d’un cénacle de chats vieillissants, maniaques et émotifs. Je haïssais les techniques de vente et le marketing, je profitais des cours de psychologie et de techniques d’expression pour perturber fortement les notions commerciales de la promo. Je me mets à distribuer des tracs poussant à la révolution dans les foyers d’immigrés, avec des militants trotskistes, décide d’installer l’Unef Soufflot juste pour embêter l’autre Unef, les staliniens, fais des exposés sur Fassbinder dont je vais voir les films homo-marxistes avec une copine qui a des longs cheveux raides oranges, ou je parle de Chester Himes, dont je décortique devant les yeux hallucinés des autres « l’aveugle au pistolet ». Erik avec un k, descendant de russes blancs, plutôt bourgeoisie cultivée, plutôt environné de copains malsains, apprécie pas mal que j’aie pour ennemi la moitié de l’IUT syndiquée à l’Unef des stals. Il est fin, connaît plein de choses de la vie, a une mobylette et une chambre de bonne en rez de jardin, il est drôle. Je le suis en mobylette sur la N20, manque de tomber à la renverse à Denfert Rochereau lorsqu’il me parle du Rouge et du Noir, et arrivés au Trocadéro, nous déposons les mobs pour faire la queue à la cinémathèque de Chaillot. Dans la file qui attend pour voir « Les visiteurs du soir », il m’embrasse. Une fois ôté le crucifix qui trône au chevet du lit, sa chambre de bonne est tout à fait fréquentable. Nous avons plusieurs festivals privés et en matière de cinéma, nous aimons Tavernier, les italiens, les japonais. Après, pour accélérer l’avenir, j’attrape une pneumonie et une pleurésie. Dans l’ex sanatorium, renommé « centre de pneumologie », et qui est à deux pas de la maison parentale, je suis subjuguée par les médecins, même si les nombreuses ponctions et les tubages matinaux ne me les rendent pas entièrement séduisants. Mais tout de même, le centre étant empli d’immigrés ayant diverses formes de tuberculose, d’une part ils profitent de leur séjour pour délivrer des cours d’alphabétisation, mais de surcroît, ils mettent en place une prise en charge gynécologique, et systématisent la contraception, notamment le stérilet, afin de cacher au mari la décision de leur femme. Les femmes d’Afrique du Nord sont totalement désinhibées et parfois, ça me surprend : « ohlalala, mon mari il m’en a mis plein et là j’ai mal à la chatte !!! » m’explique une, de retour d’une « permission » de week-end. Quand je rentre enfin, c’est la fin de l’année scolaire, l’Iut me laisse la possibilité de redoubler, alors autant recommencer autre chose, une fac d’éco par exemple, c’est très bien ça, très politique. Très au grand dam de ma mère. D’autant plus que je l’agace déjà, je suis très fatiguée, et me traîne, je m’affale dans un pliant ras du sol en soupirant, dans cette canicule de 76 où il est impossible de dormir la nuit. « Tu ne vas pas rester tout l’été comme ça » qu’elle me dit, avec le ton des bains qui interrompaient les épisodes de Zorro. Du coup, je signe un contrat de 3 mois comme vacataire à EDF. Je n’ai pas 19 ans encore. Arrivée à la fac, j’ai plein de sous, pour manger des omelettes au gruyère dans un café en bas de la tour de Tolbiac, et surtout aller au cinéma. Je connaissais toutes les salles du Quartier Latin, je me souviens de la salle qui a passé pendant des années « l’Empire des Sens » Je me souviens de celle qui a un poteau au milieu. Je me souviens de la Pagode. Lorsque je lis la liste des réalisateurs de ces années là, j’en ai le souffle coupé : Bresson, George Lucas, Wajda, Scorsese ah Scorsese …, Ettore Scola, Spielberg, Andrzej Zulawski, Woody Allen, Dino Risi, Wim Wenders !! Wim Wenders … Tant de talents. Lorsque je sortirai des résultats du concours d’Inspecteur du Travail, à 23 ans, sonnée de l’avoir loupé, ma mère m’emmènera voir « Yol ». Imaginé, écrit, dirigé en prison par le kurde Yılmaz Güney. Un chef d’œuvre douloureux. Ca a mis de la distance.

Sur l’écran noir de mes jours, passent le jardin des Finzi Contini, la bande hétéroclite d’A la vie, à la mort, Noiret et Eddy Mitchell et leurs coups de torchon, le 5e élément, et mon oncle d’Amérique.

Et tout un peuple bigarré. Et toutes des vies.

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