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Patricia Cottron-Daubigné, Femme broussaille, la très vivante par Gérard Cartier

Publié le 24 juin 2020 par Angèle Paoli

Patricia Cottron-Daubigné, Femme broussaille, la très vivante,
Les Lieux Dits éditions, Collection 2Rives, 2020.
Dessins de Mélissa Fries.

Lecture de Gérard Cartier

ARCIMBOLDA

C' est l'un de ces livres enfantés par une rencontre qui pousse un écrivain, confronté à une matière étrangère, à se renouveler. On connaît la large palette de Patricia Cottron-Daubigné, des courtes proses de Croquis-Démolition (La Différence, 2011), récit d'une longue grève ouvrière, jusqu'aux poèmes sur les migrations de Ceux du lointain (L'Amourier, 2017), qui plongent parfois dans le mythe, et aux vers amoureux de Visage roman (L'Amourier, 2014). Elle nous surprend pourtant avec ces poèmes d'une verve sauvage et presque animale, accordés aux œuvres de Mélissa Fries qui les ont inspirés, comme en témoigne le cahier d'une douzaine d'œuvres inséré en tête du recueil : des dessins au crayon gras sur lavis, parfois hybridés de photos, dont les lignes enchevêtrées enserrent des formes végétales, animales, ou humaines, en particulier des fragments de corps féminins.

Femme broussaille, la très vivante forme un triptyque dont la partie centrale, composée de courts poèmes, est une " naissance du monde ". Étrangement, l'autrice prend la voix de l'amant (" ô chère... ") pour louer le coffret secret, l'œil buissonnant qui troue l'image et qu'on ne peut mettre en mots qu'en le niant. La poésie n'est pas une table à dissection ; on ne peut pas dire l'anatomie crûment : une métaphore y pourvoit. Les blasons féminins du passé abondent en images botaniques ; pour peindre leur maîtresse, les poètes ont longtemps invoqué les roses, les lys et les fruits : toute amante est une Arcimbolda. Ici, au cœur des jardins d'Épicure, c'est un dahlia noir qui fleurit dans les broussailles, parfois hanté par un insecte ou un oiseau :

noir dahlia

et quel rouge dans le noir

plus noir que la nuit

et rouge venu dans le secret

émouvant [...]

Quoique relevant de la même thématique, les deux parties qui encadrent la section centrale ont une tonalité assez différente. Ici, c'est la femme qui parle. La dévotion fait place au chant des forces primitives, qui s'exalte parfois jusqu'au délire dionysiaque. Plus que dans le mythe, celui-ci plonge volontiers dans le Moyen Âge : la femme y est cet être étrange et fascinant qui vient " des sorcières / et des sabbats ". Une poésie de l'excès, donc, qui lorgne (sans excès) vers le surréalisme. Le poème est une cérémonie qui accompagne celle de l'amour : " je parle à la lune de / nos ventres gourmands ". On est loin de la sévérité de Ceux du lointain. Portrait de l'autrice en saint Sébastien :

Je recommence

je n'épuise pas mes forces

malgré les clous les flèches

fichés dans ma chair

je fraye avec le hasard

la douceur des chairs femme

je remercie l'horizon

de couler en moi.

Gérard Cartier
D.R. Gérard Cartier
pourTerres de femmes

Patricia Cottron-Daubigné, Femme broussaille, la très vivante   par Gérard Cartier


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