(Avertissement : ce chapitre est une ébauche d'une suite au roman Vivement l'amour) Jules est passé me chercher à quatorze heures moins deux. C’est qu’il est ponctuel, Jules.
On a passé un peu de temps à discuter, et il faut dire que j’en avais bien besoin.
— Si on s’occupait de ta nouvelle raquette de tennis ? a proposé Jules, qui voulait me changer les idées.
Ce n’est pas que j’aie vraiment le cœur à jouer au tennis ni à quoi que ce soit d’ailleurs, mais les potes, ça sert à ça : faire diversion quand l’esprit n’est plus capable de se débarrasser tout seul d’un souci devenu majeur.
En l’occurrence, le départ de Marina pour Nantes, c’est vraiment un souci majeur.
On a attaché nos vélos avec nos cadenas à code, pas trop rassurés tout de même, parce qu’un vélo attaché avec un cadenas, ça laisse toujours une roue libre et la selle accessibles.
Heureusement, Murphy n’était pas loin. Alors, on est allé lui serrer la main, histoire de se le mettre dans la poche. Murphy, on l’appelle comme ça parce qu’il ressemble à un doudou de ma sœur Virginie : un gros gorille tout noir et tout costaud qui n’est en réalité qu’un King Kong version réduite.
Le directeur des ressources humaines du centre commercial, quand il a vu Murphy la première fois, il a dit « Hé King Kong ! Je ne sais pas ce que tu fais dans la vie, mais à partir de maintenant, tu travailles pour moi, et je te paie le double de ce que tu es payé actuellement ! »
C’est ainsi qu’il est devenu vigile, Murphy.
Et ça tombait bien pour le supermarché, parce qu’il était RMIste, Murphy.
Dans le rayon des raquettes de tennis, il n’y a absolument personne. Les mamans au foyer, quand elles font leurs courses, elles achètent des yaourts, du fromage, de la charcuterie, des melons, des navets, de la salade et des serviettes hygiéniques, mais des raquettes de tennis, ça, jamais.
Alors il n’y a que Jules et moi.
Seuls.
En tête à tête.
— Franchement, tu penses que je peux en trouver une ? je demande à Jules.
— Si tu n’en trouves pas une, tu es vraiment difficile !
Il n’a pas l’air de bien comprendre la situation, Jules. Pour lui, ça semble couler de source. Pour moi, c’est tout le contraire :
— Mais je le suis, difficile ! je m’exclame.
— Je vais t’aider, t’inquiète pas, t’es pas tout seul : les potes, ça sert à ça ! D’abord, est-ce que tu as une préférence pour la couleur ?
— La couleur ?
— Ben ouais, la couleur, quoi !
— C’est vraiment essentiel, la couleur ?
— C’est pas essentiel, mais bon, ça permettra déjà d’y voir plus clair. Avant de devenir un vrai pro, autant raisonner en termes esthétiques. Tu as des préférences ?
— Ben… Je m’en fiche, moi, de la couleur ! Tout ce que je demande, c’est qu’elle soit… parfaite !
Jules me jauge le regard, et me concède qu’en effet, la couleur, ce n’est pas le plus important, et que c’est très bien de réagir comme ça :
— Ce qu’il faut, c’est que la forme te convienne. Chaque personne a un toucher bien particulier, et il ne faut pas que la forme contrarie le toucher. Sans vouloir paraître trop technique, il est important que tu comprennes que tout ce qui arrive dans tes cordes ne se comporte pas systématiquement de la même manière. Une cible qui arrive tout droit sur toi comme une fusée, par exemple, ne doit pas te faire vibrer le manche pour autant.
— Ah bon ? je m’étonne.
— Evidemment. Si ton manche vibre dès la réception, c’est la tendinite assurée avant la fin du jeu !
Jules exagère toujours :
— Il faut absolument tout faire pour que chaque cible atteinte soit un moment de plaisir. Et non pas un pur calvaire. Tu comprends ?
— Oui, je comprends bien, mais en même temps, je ne vois pas pourquoi ce serait un calvaire d’avoir le manche qui vibre !
— Ah ben crois-moi que lorsque tu en auras satellisé une dizaine, tu comprendras ! Les vibrations dans le manche, il faut absolument les éviter !
— Avoue quand même que s’il n’y a pas de vibrations, c’est que ça ne sert à rien de continuer ! je lui fais.
— Tu rigoles ou quoi ? Un manche vibre toujours un peu, c’est évident, mais il faut que cela reste imperceptible !
Je lève les yeux au ciel. Il me prend vraiment pour un lapin de trois semaines, le Jules :
— Ben oui ! Quand même !
— C’est pour ça qu’il est essentiel d’avoir un maillage bien tendu. Bien régulier et bien tendu, ajoute-t-il en se saisissant d’une raquette dans le rayon. Si ton maillage n’est pas régulier, tu t’exposes à des faux bonds, ou des trucs qui te sabotent une partie en mois de temps qu’il n’en faut pour le dire.
Jules est un vrai chasseur :
— Rien ne doit passer au travers ! ajoute-t-il en jouant avec sa raquette.
Je ne suis pas certain qu’il puisse m’être d’une grande aide.
— C’est compliqué… je soupire.
— Mais non ! Tout ça, c’est de la théorie, t’inquiète pas ! Pour faire simple, il te suffit d’en trouver une qui te plaise, une que tu aies bien en main. Il faut que tu puisses la serrer facilement tout en restant cool, décontracte. Evidemment le poids est essentiel. Si elle est trop lourde pour toi et que tu fatigues dès que tu veux t’éclater avec, ça ne vas pas, laisse tomber, c’est qu’elle n’est pas faite pour toi… Mais si tu en trouves une légère, souple et bien tendue à la fois, qui ne te colle pas trop aux mains quand tu transpires, franchement, tu peux y aller les yeux fermés et l’acheter sans réfléchir !
Qu’est-ce qu’il dit, le Jules ? Il disjoncte ou quoi ?
— L’acheter ? Non mais ça va, ouais ? Et l’amour, dans tout ça ?
— Quoi, l’amour ?
— Tu es à côté de la plaque, mon vieux ! Tu me barratines parce que tu veux me remonter le moral, mais franchement, c’est évident, j’en trouverai jamais une comme Marina, et tu le sais très bien ! Tu ferais bien de me conseiller pour une raquette de tennis, au lieu de me donner des conseils au sujet des nanas !
Il m’a regardé d’un air sidéré, le Jules, et il s’est exclamé :
— Et tu crois que je fais quoi, là, avec une raquette toute rose dans les mains ? Que je vérifie si elle me va bien au teint ?
J’aime pas, le rose. Ça fait fiotte, le rose. Pour commencer, il devrait déjà faire du tri dans les couleurs.