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Craft beer – Vit “en direct” – Bière

Publié le 29 juin 2020 par Cafesecret

C'est en 1997 que " La première gorgée de bière et autres petits plaisirs[1] ", Une petite collection, dans un style inclassable, dans laquelle Philippe Delerm s'amuse à décrire des sensations éphémères, sorte de catalogue de" Proust madeleines "tirées de mille gestes de la vie quotidienne: écosser des pois, sentir l'odeur des pommes cuites, prendre un pays route en été après un orage ou boire la célèbre première gorgée de bière, pour l'auteur, le meilleur de tous. Ce livre a été un succès retentissant, au point que l'auteur est devenu le champion du "minimalisme positif". Presque une nouvelle sociologie courant seul.

Sur les réseaux sociaux, cette forme de minimalisme qui passe par l'affichage de son quotidien est poussée à son paroxysme. Elle consiste notamment à exposer au plus grand nombre le moindre de ses actes et gestes, si possible ceux qui relèvent de la banalité la plus affligeante. À côté des selfies ( près d'un million de millions de millions d'images de soi sont diffusées chaque année sur les réseaux sociaux), de histoires ou vidéos "ASMR[2] "(Ce phénomène qui consiste à diffuser des murmures censés se détendre), les plateformes regorgent de nouvelles formes de mise en scène personnelle, sorte d'invitation à un voyeurisme exacerbé.

L'intime découvert

Voici l'exploit d'un jeune malaisien[3] qui, par des caméras interposées en mode "live" sur Facebook, s'est endormi devant soixante mille personnes. Là, un hôtel au Japon[4] qui diffuse, en direct sur YouTube, la nuit de ses "cobayes" volontaires. Ou en Corée du Sud - et à croire que les habitants des pays d'Asie sont moins attentifs aux questions de vie privée et de partage de leur vie personnelle - youtubers[5] qui filment leur routine domestique. L'esthétisme revendiqué de ces clips qui décrivent parfois la lumière du jour caressant une plante d'herbes aromatiques ou qui montrent comment disposer symétriquement des boules de pâte à biscuits sur une plaque à pâtisserie ... est censé procurer une étrange sensation de tranquillité. Néanmoins, les nouvelles formes de ces expressions vidéo qui fleurissent sur les réseaux sociaux nous incitent à révéler de plus en plus l'intime.

Transparence en "live"

En anticipant nos attentes des consommateurs avides d'images, en saturant les plateformes de contenu sans fin destinées à distraire et capturer le "temps du cerveau disponible", l'expression est connue, on oublierait presque que les réseaux sociaux agissent comme une sorte de miroir à sens unique. On se dévoile, on avoue sans anonymat au risque de se faire voler ses secrets (et accessoirement ses données) grâce à la récolte invisible de Biscuits qui tracent nos itinéraires. En un sens, les réseaux sociaux ont tendance à mettre leurs utilisateurs en "perfusion numérique" même si cela signifie aller de plus en plus loin dans l'affichage des vies, comme en témoigne l'exposition consensuelle de ce malaisien qui, sorte de servitude volontaire, accepte d'accepter de performer devant des dizaines de milliers de personnes qui le regardent pendant qu'il dort. Cet exemple symptomatique, qu'il ne faut pas généraliser pour être si singulier, nous donne néanmoins matière à réflexion sur cette tyrannie d'une transparence absolue rendue possible par la technologie.

Zombies numériques

Difficile de savoir ce qui mérite d'être le plus commenté entre celui qui accepte de révéler sa vie devant des milliers de personnes ou toutes les autres, l'immense majorité, qui, comme des zombies numériques, les yeux rivés sur leurs écrans, sont absorbés par le vide sidéral de ce défilement continu d'images censées étancher une soif inextinguible de sensations. Que peut signifier, à travers un écran interposé, observer un homme endormi? Seule la psychanalyse, aidée en cela par les neurosciences, peut éventuellement expliquer les causes de cette stupidité globale qui se propage à partir du moment où l'on se retrouve face à un écran sur lequel des images en " vivre "Sont retransmis sans filtre.

Sevrage

Face à ce surpeuplement de nos esprits connectés, la science explique que la personne responsable de ce phénomène serait de chercher le côté d'une molécule biochimique présente dans notre cerveau. En tant que neurotransmetteur, la dopamine pourrait être responsable de ce phénomène d'attente de récompenses et donc de dépendance aux réseaux sociaux.

Face à ce phénomène, les réponses varient. Si certains appellent à un retrait radical au point de quitter YouTube, Instagram et autres Twitter[6], au motif que ces plates-formes sont des lieux où se concentrent les polémiques, les renards, les invectives et le harcèlement, d'autres préconisent une forme d'hygiène moins radicale en essayant d'abord de freiner ses réflexes de partager tout et n'importe quoi de sa vie ordinaire. En bref, évitez de télécharger des vidéos de vous-même pendant que vous écossez des pois ou que vous savourez votre première gorgée de bière. Non, vraiment, et pour ce plaisir, un récit quelques secondes, même vues par des milliers de personnes, n'apportent rien au plaisir simple et sincère que l'on ressent quand il se produit en réalité, sans aucune forme de partage sur les réseaux sociaux ou en direct.

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REMARQUES

[1] http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/L-Arpenteur/La-premiere-gorgee-de-biere-et-autres-plaisirs-minuscules

[2] https://www.francetvinfo.fr/internet/youtube/chuchotement-tapotement-et-bruits-de-bouche-les-videosasmr-qui-promettre-detente-et-bien-etre-cartonnent-sur-youtube_3010671.html

[3] https://www.malaymail.com/news/life/2020/02/18/kluang-man-live-streams-himself-sleeping-on-facebook-captivates-more-than-6/1838544

[4] https://youtu.be/hvWzOT8s_3Y

[5] https://www.youtube.com/watch?v=C-4Bm6J70Rk&feature=youtu.be

[6] https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/pourquoi-il-faut-fuir-twitter-et-facebook-138002

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