Le soleil monta dans le ciel. Le poisson ne donnait aucun signe de fatigue. Une seule chose consolante : l'inclinaison de la ligne, qui indiquait que le poisson nageait à une moins grande profondeur. Cela ne signifiait pas nécessairement qu'il sauterait, mais le laissait prévoir.
- Mon Dieu, faites qu'il saute, dit le vieux. J'ai assez de ligne pour m'en arranger.
" Des fois que je tende un peu plus pensa-t-il. Juste assez pour lui faire du mal ? Ça le ferait peut-être sauter. Maintenant qu'il fait jour,
mon Dieu, faites qu'il saute. Comme ça il remplira d'air les sacs qu'il a sous le dos au lieu de s'en aller crever au fond de la flotte. "
Il essaya d'augmenter la tension de la ligne ; mais celle-ci, depuis qu'il avait ferré le poisson, était tendue à se rompre ; quand il se pencha en arrière pour tirer, il éprouva une telle résistance qu'il comprit qu'il était impossible d'obtenir davantage. " Pas de secousse surtout, pensa-t-il. À chaque secousse, l'hameçon y arrache la gueule un peu plus, et il risque de l'envoyer promener au moment où il sautera. Tout de même, depuis qu'y a du soleil ça va mieux. Pour une fois, j'ai la veine de pas l'avoir dans l'œil. "
Des herbes jaunes s'étaient accrochées à la ligne, mais le vieux savait que c'était autant de poids supplémentaire que le poisson avait à remorquer, et il en était ravi. C'était cette herbe jaune du Gulf Stream qui avait produit tant de phosphorescence au cours de la nuit.
- Poisson, dit-il, je t'aime bien. Et je te respecte. Je te respecte beaucoup. Mais j'aurai ta peau avant la fin de la journée. Que je dis,
pensa-t-il.
Extrait : Le vieil homme & la mer par Ernest Hemingway.
Dessin par Leo Lavital Picman
Fait avec de la peinture à l'eau, crayon de couleur
Numérisé et ajout de texte numérique.