[À PART ELLE] à part elle ce matin le lac est une flaque de
mercure le ciel ricoche en
surface
le regard fixe l'impact et ne
traverse pas
elle dit que son travail de vivre est de bouger les immobiles
elle dit de déplacer la pierre
elle ne sait pas comment
dans l'apparence tout semble simple on dirait que le mouvement
lui appartient presque qu'il est naturel qu'aucun effort à être ne
paraît que la parole coule comme respire qu'il n'y a rien qui pétrifie
ni aura pétrifié ce qui n'empêche pas la mémoire
elle se souvient la buée sur la vitre le lent voyage à ne pas oser
effacer la petite couche grise et froide devant
les yeux qui bloque le paysage à ne pas
faire le geste et se laisser conduire dans l'effroi de
n'y rien voir et de n'y
rien pouvoir
la voix nouée en fond de gorge de ne pas
répondre à la question de ne pas oser la parole et
tout ça qui s'enfonce dans
un silence rouge où le cœur
elle se souvient de la paralysie
et de la double vie au miroir de soi
et de l'invention d'un geste de parole
Frédérique de Carvalho, barque pierre, éditions Isabelle Sauvage, Collection pas de côté, 29410 Plounéour-Ménez, 2020, pp. 43-44.