Frédérique de Carvalho | [à part elle]

Publié le 04 juillet 2020 par Angèle Paoli

[À PART ELLE] à part elle ce matin le lac est une flaque de

mercure le ciel ricoche en

surface

le regard fixe l'impact et ne

traverse pas


elle dit que son travail de vivre est de bouger les immobiles
elle dit de déplacer la pierre
elle ne sait pas comment
dans l'apparence tout semble simple on dirait que le mouvement
lui appartient presque qu'il est naturel qu'aucun effort à être ne
paraît que la parole coule comme respire qu'il n'y a rien qui pétrifie
ni aura pétrifié ce qui n'empêche pas la mémoire

elle se souvient la buée sur la vitre le lent voyage à ne pas oser

effacer la petite couche grise et froide devant

les yeux qui bloque le paysage à ne pas

faire le geste et se laisser conduire dans l'effroi de

n'y rien voir et de n'y

rien pouvoir

la voix nouée en fond de gorge de ne pas

répondre à la question de ne pas oser la parole et

tout ça qui s'enfonce dans

un silence rouge où le cœur

elle se souvient de la paralysie

et de la double vie au miroir de soi

et de l'invention d'un geste de parole

Frédérique de Carvalho, barque pierre, éditions Isabelle Sauvage, Collection pas de côté, 29410 Plounéour-Ménez, 2020, pp. 43-44.