Quel est le succès d'un bar restaurant? À la qualité de ce qui y est servi, à la personnalité du patron aussi. Le Cravan coche les deux cases. Franck Audoux, la quarantaine au caractère bien trempé, était galeriste dans une autre vie, puis associé à la très prisée Chateaubriand, adresse phare de l'est parisien. Aujourd'hui, il veille sur son "Le meilleur bar à cocktails de Paris". Le menu est court mais bien ressenti. Ni vin ni bière ici, ce n'est pas le genre de maison qui revendique des choix pointus. En place, on retrouve le tunnel classique, le daïquiri ou la margarita surgelée en majesté, bien adapté au goût du jour, associé à certaines créations à base de gin, avec renforcement de l'absinthe ou de la chartreuse jaune selon le cas. Cocktails propres, tendus, parfaitement équilibrés sans fioritures. "Moi, concombres, je les mange en salade, et les citrons je les garde en dessert", balance Audoux, préservé de la mode qui a tendance à transformer les cocktails en étalages de fruits et légumes.
Tout ici est délicieux et dosé au centilitre le plus proche pour la dégustation. Les fans d'effets wow et de décollages à Mach 3 s'abstiennent. Les recettes du patron sont destinées à maintenir la conversation, pas à consommer le cerveau. En accompagnement, le client commande des huîtres, nature ou en bouillon de shitake, bulots, délicieux soba - pâtes au sarrasin - petits sandwichs au fromage de chèvre ... Chez Cravan, les plaisirs gourmands et le temps s'arrêtent. L'endroit se révèle chaleureux, détendu. L'adresse accueille une clientèle de quartier - une vingtaine d'année ce soir-là -, et d'autres qui veulent découvrir ce lieu déjà célèbre et se pâmer devant le comptoir en zinc si parisien et sublime en faïence.
Un zèle drôle
Le Cravan doit son nom à cet artiste-boxeur britannique, soi-disant "chevalier de l'industrie, marin du Pacifique, chauffeur de muletier, cueilleur d'oranges en Californie, charmeur de serpents, rat d'hôtel, neveu d'Oscar Wilde, bûcheron dans les forêts géantes , ex-champion de France de boxe amateur, petit-fils du chancelier de la Reine, conducteur d'une voiture à Berlin, cambrioleur ", considéré comme l'un des fondateurs du mouvement surréaliste. Ce zèle étrange a disparu dans le golfe de Tehuantepec, au Mexique, en 1918, pour réapparaître un siècle plus tard rue Jean-de-La-Fontaine et donner un nouvel élan à la mixologie parisienne. En imaginant une place à son image et celle de ce héros fantasmagorique, Franck Audoux donne à ce coin de Paris une touche totalement sexy.
Cravan, 17 rue Jean-de-La-Fontaine (Paris 16e). Heures d'été du mercredi au jeudi à partir de 18 h à 12 h Ven, sam: 18 h à 2 heures du matin