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Objets inanimés ?…

Publié le 15 août 2020 par Ivanoff @ivanoff

La boutique joliment agencée donne l’illusion d’un cocon douillet où viendrait d’un instant à l’autre se poser quiconque en aurait fait désormais son « chez lui »… Les fauteuils lui tendent si tendrement les bras…

Ils ne sont toutefois là que pour tenter le chaland, et se faire adopter contre monnaie sonnante et trébuchante.

Récemment sortis des cartons, de leur gangue de plastique à bulles protectrice, ils n’ont d’odeur que celle du « neuf » qui n’a pas d’histoire, leur velours immaculé n’est pas encore été fatigué par tous ces possibles séants qui tôt ou tard vont s’y affaler, ces meubles là sont à leur grand regret tristement figés dans un Présent impersonnel, comme dans toutes les vitrines du monde, et quelque soit le mal qu’on se soit donné pour y déposer quelques touches d’animation colorée ! Ils n’ont encore rien vécu…

Sur de curieux guéridons à pattes de héron, on a posé nonchalamment de quoi donner vie à ce petit salon, une lampe grillagée qui s’inspire de celles qu’on aurait pu trouver dans la friche d’une usine désaffectée, mais sans la fine poussière grise et quelques rayures qui l’auraient habillée d’une douceur d’usage… Un vase au visage d’argile, le nez en l’air, s’interroge sur sa destinée, tandis que plusieurs miroirs ne savent plus quelle image renvoyer aux passants qui, s’arrêtant devant la vitrine, disciplinent une mèche volage ou réajustent leur col qu’une bandoulière tiraille en arrière !

Sur une table ronde auprès de laquelle quelques chaises dépareillées nous parlent de convives et de salle à manger, ce sont de jolies tasses bleues qui ne rêvent que d’un café ou d’un bon chocolat chaud à partager… Mais personne n’a encore jeté son dévolu sur les assiettes ou sur les verres disposés en attendant d’improbables invités…

Tous ces meubles et ces objets occupent l’espace dans un foisonnement de couleurs et de matières, certains d’entre eux me sont presque familiers, il ne tiendrait à pas grand chose qu’ils trouvent aisément une place chez moi, qui leur irait comme un gant, tandis que d’autres ne m’évoquent rien et sont pour le moment, réduits à l’attente du coup de foudre d’un potentiel acquéreur.

Tout ce beau monde est là, posé en silence dans cette jolie boutique qui puise elle aussi son âme en lui, puisque, n’appartenant encore à personne dont il aurait pu s’imprégner, il accueille volontiers qui veut bien un instant lui prêter son regard ou son cœur…

« Objets inanimés, avez-vous donc une âme (qui s’attache à notre âme et la force d’aimer » cf: Alphonse de Lamartine), ou glissez-vous subrepticement dans celles de ceux qui vous font une place dans leur vie ?…

Pourtant, toute matière inerte qu’ils soient, n’avez-vous jamais remarqué combien ils savent parfois nous retenir, nous suivre ou nous abandonner ?

Il y a ces choses qui nous échoient en héritage et qui s’accrochent à nos basques, ne devenant « nôtres », au départ, qu’un peu par obligation, et qui doucement se tortillent et creusent un petit terrier où il arrive qu’il fasse bon de les y savoir installées.

Ceux qui vous échappent des mains alors que vous y êtes profondément attachés, qui se fracassent à vos pieds vous laissant démunis et endeuillés de ce dont ils s’étaient emparé de vous à votre insu…

Ceux qui vous sont précieux pourtant, et que vous offrez sur un coup de cœur à qui ils vous semblent bien mieux destinés…

Ceux qui disparaissent du jour au lendemain, que vous retrouvez parfois par hasard, dans un endroit où, vous en êtes absolument certains, vous ne les avez pas vous mêmes déplacés… Reste alors le profond mystère sur la façon dont ils ont bien pu y arriver !!!

Ceux qui s’effacent de votre paysage et même de votre mémoire, qu’une vieille photo ressuscite mais dont vous ne saurez jamais ce qu’ils sont devenus !

Puissent-ils en nous l’énergie pour finalement n’en faire qu’à leur tête ?

Ou nous confisquent-ils un instant pour se jouer de nos mémoires et de nos sentiments ?…

Objets évanouis, ensommeillés, silencieux et immobiles dans ces belles vitrines, sans l’ombre d’une usure ou d’un défaut qui sont vos rides à vous, et dans lesquelles on peut suivre votre parcours, qu’espérez-vous de nous autres qui vous regardons, concupiscents ou indifférents, jouez-vous votre avenir à pile ou face ? Faites-vous feu de tout bois ? Partageons-nous le plaisir de nous choisir pour vivre ensemble, réussissez-vous à nous repousser, à nous éviter comme nous bannissons de nos vies ceux que nous ressentons malveillants ou simplement « différents » ?…

Moi, je crois fermement à vos âmes opportunistes qui se nourrissent de ce que nous sommes, comme le font les maisons qui retiennent en elles la totalité des évènements et des émotions de qui les habitent ou les ont habitées, prenant à chaque fois davantage « d’épaisseur ». Comme on se nourrit plus ou moins ceux qui partagent notre intimité, les choses « in-animées » plongent dans notre regard pour y glaner de quoi naitre à cette seconde chance de n’être plus « un objet », mais « l’objet de » ou « l’objet qui »

Le nom de famille précise toujours une identité, c’est ce que nous devenons en achetant un objet « in-animé », leur famille, pour un jour, un mois ou des années, et jusqu’à ce qu’un(e) autre s’en empare à son tour, toutefois avec… l’accord de l’orphelin provisoire…

« Un paysage, une figure, un objet quelconque, n’existent pas en soi… C’est un état de ton esprit, comme la colère, comme l’amour, comme le désespoir »…

De Octave de Mirbeau dans « Dans le ciel » (1989)

Pour Corinne S., qui, parce qu’elle aime les objets, leur insuffle ce petit bout d’âme qui les rend séduisants…


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