Journal des Quatre Vérités,XXX

Publié le 16 août 2020 par Jlk

L’HOSPICE MONDIAL – Lors de mon dernier passage à l’hosto, « postant » quelques notes à chaud, j’ai récolté plus de 150 « j’m » et 50 commentaires compatissants plus ou moins dégoulinants de crème pâtissière. L’hôpital ne se foutra pas de la charité mais quand même : que de démonstrations pour si peu de chose...

Et quel afflux de condoléances de partout quand Robert ou Martine annoncent le décès de leur mère chérie ou de leur cousine Gilberte à des milliers d’inconnus soudain bouleversés, oh comme je te comprends Louise, ah combien je « partage » mon Armand !

Et voici Jeannette qui détaille tous les jours les progrès ou le recul de sa bronchiolite, taxant de « mes amours » ses followers, ou voilà le grand Paulo qui nous jure qu’il lâche la clope, et Sandra la super-sensible qui nous gratifie de nouveaux alexandrins sur la beauté de sa chatte.

Misère ! Et l’on prétend que l’algorithme ne transmet que 25 messages à nos amis-pour-la-vie de Facebook. Hélas le tri ne nous protège pas de la pitié mondialisée frottée de curiosité vorace, ni de l’exhibition des intimités moites…

DE LA BEAUTÉ. – Quel rapport entre la repousse d’une frêle fleur blanche dans cette chambre toujours confinée de fin mai (je le note le 10 août 2020), la cavalcade soudaine sous l’orage de quelques vaches filmées en noir et blanc au smartphone et semblant battre des ailes comme des anges à gros culs, deux jeunes homosexuels (dont l’un d’eux est un handicapé sévère à gestes de crustacé fébrile et sourire hilare) enlacés sur un banc du Luxembourg et se baisant à pleines bouches, un champ d’oliviers aux troncs torsadés, une autre trisomique au crâne rasé dansant en tenue légère et le vieux Soljenitsyne dans le sous-bois d ‘une forêt moscovite – quel autre lien que l’exclamation de ce témoin dantesque des enfers du XXe siècle : « Comme le monde est beau ».

Il fallait le montrer comme ça : comme Germinal Roaux dans les 16 minutes de son journal de confinement intitulé Revoir le printemps, ou comme Stéphanie Pillonca dans Laissez-moi aimer, son docu filmant un groupe de jeunes gens difformes, handicapés plus ou moins lourds, qui s’expriment en dansant et disent ces amours que nous préférerions ne pas voir. Mais non : la beauté rayonne, voyez !

APPARITION. – Devant le Forum commercial de Montreux, se faufilant entre les vieux masques, je vois un loustic de quatorze ou quinze ans, en compagnie d’un compère plutôt skin à tête rasée - mais lui le vrai lutin shakespearien, du genre sang mêlé indo-asiate aux traits fins d’Ariel et à la dégaine d’un loulou des banlieues galactiques, les poignets de force adornés de bracelets à breloques, sa veste de cuir hérissée de piquants, brassard à svastika nazie et futal ajouré en larges bandes découvrant une peau marronnée, et je me dis, me figurant son père le recevant ce soir de retour de sa chasse : pas peur mon fils, Hitler connais pas…

LAST NEWS. – Files d’attente des démunis à Geneva international, en quête d’aide d’urgence. Détail : que 700.000 personnes, en Suisse, vivent au-dessous du revenu minimum. Pour le site de la droite popu-chauvine Observateurs. ch, c’est sûrement la faute des étrangers ou des médias socialistes. À la déchetterie des hauts de Montreux, juste sous l’autorute, on se réorganise selon les normes hygiéniques. La ressourcerie et sa bibliothèque à ciel ouvert, où j’ai trouvé l’anthologie de la poésie française établie par Gide, en Pléiade, et déposé de tas de livres en échange, sont ces jours inaccessibles. Lu dans la bio de Leoardo que son bardache le plus jeune, le surnommé Salaï, très beau et très chapardeur, avait dix ans quand il est entré dans l’atelier du Maestro. Mais que font les justiciers de la Vertu alors que la Joconde continue de les narguer ?

À La Désirade, ce jeudi 21 mai. – Belle journée de l’Ascension. Visite des enfants en couples et de nos petits lascars. Rien de plus beau au monde que deux tout petits dans une caisse à sable sous le soleil exactement, avec une espèce de voile latine comme protection. Un connard d’intellectuel joue la provoc de salon médiatique en prétendant que même la première enfance est un nid de perversion. Et ta sœur espèce d’enculé des neurones, à genoux dans ta chapelle de freudien à tête de fossoyeur ! Quant au Vieux de la montagne il s’est tenu un peu à l’écart, un peu flagada derrière ses volets, manquant de souffle et d’énergie mais n’en pensant pas moins…