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Journal des Quatre Vérités,XXVI

Publié le 11 août 2020 par Jlk

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À La Désirade, ce lundi 4 mai vu du mardi 11 août. – Je notais le 4 mai dernier qu’en remontant à mon antre par l’escalier de bois cerné de hauts murs couverts de livres (rayon français à gauche, environ 2000 volumes, et rayon de l’Autre Europe à droite, environ 1500 volumes), avec une révérence devant ce que j’appelle « le cimetière » à l’instar des Mesurat, je me demandais comment tous ces livres et tous ces tableaux, tous ces objets partout avaient été accumulés en près de quarante ou parfois cinquante ans, et j’en ressentais une espèce d’accablement, me demandant comment « tout ça » passerait après nous, dans quel état serait cette maison qui a été et reste celle de nos vies communes, jusqu’aux deux petits lascars jouant dans la caisse à sable sans se douter de ce qui les attend ?

LE CIMETIÈRE. Mes aïeux en photo et l’arrière-grand-père de Lady L, sur un grand portrait à l’huile, mes grands-parents maternels sur leurs chameaux devant les pyramides égyptiennes, au temps où ils espéraient reprendre là-bas un hôtel avec notre grand père paternel, absent sur le cimetière de l’escalier de la Datcha, notre grand-mère Agatha au fin vieux visage harmonieusement ridé, mon grand-père Heinrich dont j’a itiré le personnage du Grossvater dans mon deuxième livre (Prix Schiller 1983), des vieux comme on disait alors sans se gêner de parler d’ « asiles de vieux » et non pas d’ « établissements médico-sociaux », des personnes qui même avant notre âge actuel avaient l’air bien plus vieilles que nous et qui seraient bonnement horrifiées d’entendre le langage de leur petit-fils de 73 balais et de voir ou de lire, par-dessus son épaule, les films et les séries télé, les images et les textes qui défilent sur l’écran de son Big Mac alors que Lady L. mère de deux filles pionce deux étages plus bas.

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LE LAPIN ET LE CHEVAL. - Le cimetière est mon surmoi, ma conscience et mon tribunal moral que je défie tous les jours, mais il est là. Notre Grossvater lisait sa Bible tous les soirs et parlait sept langues, nous assommait de ses litanies édifiantes (« Une cigarette tue un lapin, dix cigarettes tuent un cheval », etc.), se faisait traiter comme un grand enfant maladroit par sa digne épouse et ses deux filles célibataires dont l’une avait un bec-de-lièvre (la moralisante Tante Greta de mon deuxième livre), la Grossmutter tricotait pour les missions les miséreux des hauts de Lucerne la tenaient pour une quasi sainte, et moi je regarderai ce soir le dixième épisode de la première saison de The Shield évoquant l’enfer de Los Angeles et la façon particulière des flics de « faire avec « tandis que me revient la voix sentencieuse de ma grand-mère paternelle Louise citant L’Ecclésiaste : « Vanité des vanités », etc.

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HONTE, SKAM & SHAME. – Dans mes carnets du 5 mai dernier, je retrouve les notes très précises relatives au film d’Ulrich Seidel intitulé Glaube (de la série Paradies), où le cinéaste autrichien fait le portrait réaliste et critique à la fois (à la limite du sarcasme) d’une quadragénaire (peut-être même quinqua) fondue en religion alors qu’elle est mariée à un Maghrébin musulman, lequel ressurgit soudain dans sa vie en chaise roulante – paraplégique, il a eu un accident dont la cause n’est pas précisée - et lui réclame soumission et caresses, ce qu’elle rejette au motif que le sexe aux yeux de Dieu n’est digne que de honte; et je notais cela en même temps que je regardais la série Skam-France sur Youtube, dérivée de l’homologue suédois traitant de l’adolescence supposée mal dans son corps et des multiples avatars de la honte chez telle jeune Arabe déchirée entre sa religion et ses désirs, ou tel garçon se découvrant homo ou bisexuel et peinant à l’accepter, etc.

Toutes choses que nous avons vécues dans nos familles et nos groupes pseudo-libérés de soixante-huitards, ainsi que le vit le personnage du flic noir lecteur de la Bible et taraudé par ses désirs de jeunes mecs, dans The Shield, dont la honte est aussi sincère que celle de ce jeune écrivain qui m’envoie son premier « roman » confessant sa passion pour un ado de quinze ans, que sa « différence » partage entre vergogne et révolte, honte et dédain pour ceux qui en font un thème de fierté et défilent en plastronnant.

Ceci ou cela digne de mépris ? Et pourquoi donc ? Pour ma part, en tout cas, mon souci n’est pas de juger ou d’acclimater mais de calmer le jeu, quitte à en rire.

DES NOMS !. – En ce temps de délation généralisée et sans aveu, voici qu’ils réclament des noms sous couvert d’anonymat. Les dés pipés du réseau prétendu social et qui n’est que l’expression chaotique de la « dissociété », je me disais le 6 mai dernier, et plus que jamais ce 11 aout, après avoir lu le premier livre d’un jeune trentenaire qui se ferait lyncher tout vif, comme un Matzneff et avec bien plus d’excuses que celui-ci pour une passion et des propos que le foudres de vertus actuels tiendraient pour inappropriés, que désormais je suivrai la voie proustienne du maquillage des noms et de l’agrégation multiples des personnes en personnages, pour la suite de mon roman en cours.

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Proust ne nomme nommément que les Larivière, chacune et chacun se le rappelle (n’est-ce pas), et moi j’épargnerai désormais toute humiliation ou vindicte des anonymes à toute personne vivante en évitant de la citer nommément, sauf à en faire l’éloge angélique -cela qu'aura fait Julien Green en séparant nettement le publiable actuel de l'impubliable renvoyé post mortem.

PROUST EN ROUTE. – D’aucuns on reproché à Proust de masquer son homosexualité de bisexuel psychique sous le couvert d’Albertine la semi-lesbienne, alors que c’est le transit le plus heureux de la fiction vers l’universalité, et peut-être d’un consensus à venir dégagé de toutes les idéologies de « genre » à venir.

J’y pense tous les jours en roulant, à bord de notre Honda Jazz Hybrid à pneus révisés, avec Marcel dont j’écoute, lues par un Guillaume Galienne par trop efféminé à mon goût, mais si sympa quand même, les pages parfois tordantes de comique de Sodome et Gomorrhe, où abondent en outre les « tunnels » de considérations mondaines plutôt assommantes. Mais quel théâtre pour l’oreille, le cœur, le corps et l’esprit - l’âme enfin réjouie par tant de géniales observations, tant de formulations inouïes et tant de musique…


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