Coronavirus, une conversation mondiale |Récit d'espoir, le "monde d'après" a mobilisé pendant le confinement le discours de l'engagement pour la planète. Pourtant, les priorités de la relance favorisent un ordre bien établi, où l'économie prime sur le reste. De quoi faire réagir Susan George.
Susan George• Crédits : Xavier Leoty - AFPDès le début du confinement l’équipe du Temps du débat a commandé pour le site de France Culture des textes inédits sur la crise du coronavirus. Intellectuels, écrivains, artistes du monde entier ont ainsi contribué à nous faire mieux comprendre les effets d’une crise mondiale. En cette rentrée, nous étoffons la liste de ces contributions (plus de 70 à ce jour) en continuant la Conversation entamée le 30 mars. En outre, chaque semaine, le vendredi, Le Temps du débat proposera une rencontre inédite entre deux intellectuels sur les bouleversements qu'induit cette pandémie.
Politologue et écrivaine franco-américaine, militante altermondialiste, présidente d’honneur d’ATTAC, Susan George analyse l'ordre d'importance de ce qui dirige le monde pour proposer les moyens de le renverser, afin de remettre la planète au premier plan.
Faire de la Planète le premier cercle
En 2010 je publiais un livre intitulé Leurs Crises, Nos Solutions où je voulais décrire le monde tel qu’il est et tel qu’il devrait être : rien que ça.
Pour résumer le monde tel qu’il est, j’ai eu recours à quatre cercles concentriques qui expliquent et décrivent les priorités et les valeurs de ceux qui mènent le monde actuellement. Par ordre d’importance ces priorités et ces valeurs peuvent être visualisées par des cercles. Imaginez que le plus grand cercle, celui à l’extérieur, qui englobe tous les autres, s’appelle la Finance. Il domine et détermine un autre monde : le Profit. Le profit est le but de toutes les activités économiques et il commande d’abord le second cercle, à l’intérieur du premier que l’on appelle l’Économie. L’économie est dominée par la finance, autrement dit par le profit, ne laissant pas de place pour le don et à peine pour les services publics comme l’éducation, la santé, les transports en commun -services que les plus puissants maîtres du monde cherchent à réduire à leur plus faible expression. Ensemble, la finance et l’économie entourent et contraignent le troisième cercle qui est la Société. Les membres des différentes sociétés, les citoyens, disposent de moins en moins de choix sur leur manière de vivre. Enfin, le quatrième, le plus petit et dernier cercle -le moins important de tous dans le monde actuel -s’appelle la Planète. Ces quatre cercles décrivent les priorités et les valeurs à présent de ceux qui mènent le monde.
Renverser le monde
Si nous voulons continuer à vivre dans des conditions décentes, notre objectif et notre devoir n’est rien moins que de renverser l’ordre de ces cercles et de les mettre à l’envers. Le plus important est sans conteste la Planète. Nous ne pouvons vivre sans elle ; elle serait sans doute bien mieux sans nous.
L’hubris, l’orgueil et la démesure des hommes (plus que des femmes) leur font croire qu’ils fixent eux-mêmes les lois de la physique, de la chimie et de la biologie.
En plus d’être fausse, cette idée empêche de renverser le monde tel qu’il est, car tous les autres changements en dépendent. La Société pourrait ensuite s’émanciper, devenir neutre en CO2, et décider de la manière dont les citoyens, les êtres humains, veulent vivre ensemble, selon des règles, des priorités et des valeurs. Enfin, renverser les cercles implique de penser l’ Économie en termes de services à rendre aux choix écologiques et sociaux et choisir en fonction de ces trois facteurs-planète, économie et société- le type de financement qui convient le mieux, le quatrième cercle étant réduit à une fonction limitée et utile.
À LIRE AUSSIACTUALITÉSYouna Marette : "Demain, un monde à créer"Espérons que le COVID-19 soit l’occasion de nous poser les vraies questions : Est-il juste que les PDG des 350 plus grandes firmes américaines gagnent 1150 fois le salaire de leur ouvrier moyen ? Que faire des milliardaires, alors que nombre d’entre eux ont profité de la crise pour s’enrichir ? Le Président (Républicain) Eisenhower dans les années 50 taxait la dernière tranche des revenues des plus riches à 90%. Qui sont les personnes dont nous avons le plus besoin ? Les agriculteurs (respecteueux de la terre de préférence), les enseignants, les travailleurs de la santé ou les banquiers, les cadres des entreprises pétrolières et les traders ? Comment les rémunérer en conséquence ? Deux trilliards de dollars ont été dépensés en 2019 pour des besoins militaires. La sécurité est certes importante, mais l’est-elle à ce point ? Cela permet plus largement de se demander quel équilibre cherchons-nous entre nos biens publics et nos biens privés.
N’est-il pas le moment de composer à l’échelle locale ?
De plus petites entreprises sont-elles moins capables et efficaces que des entreprises transnationales à la logistique démesurée, susceptible de créer des manques comme nous l’avons ressenti avec les pénuries de masques ?
Apprenons de la mobilisation autour du virus
La réponse, plus globale, se formule dans notre relation au capitalisme. C’est d’après celle-ci que les gouvernements mettent en ordre les cercles dont nous parlions plus haut. Cependant, ces mêmes gouvernements manquent cruellement de courage pour repositionner les cercles à leur juste place. Ce sont alors aux débats de citoyens de faire advenir un nouvel agenda. La réussite du changement passe par une pression générale sur ces sujets, pression diffuse, nette, explicite. Que ce soit par le vote, le boycott, et toute action non-violente. Que cela passe par la mise au ban de ceux qui nient le réchauffement climatique comme Trump ou Bolsonaro, par un refus de faire commerce avec eux. Que cela passe par l’interdiction des subventions aux entreprises de combustibles fossiles. Apprenons de la mobilisation autour du virus et mettons toutes nos forces contre ce changement climatique – et ultime.