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Claude Vigée | Soufflenheim

Publié le 04 octobre 2020 par Angèle Paoli

SOUFFLENHEIM S ans lit, sans fond Claude Vigée, 1
la rivière du souffle coule
invisible,
sous la grange de brique ancienne,
la demeure du temps.
Ceux qui sont nés dans la boue adamique du Ried Pâque de la parole [Paris, Flammarion, 1983], in L'homme naît grâce au cri, poèmes choisis (1950-2012), édition établie, présentée et annotée par Anne Mounic, Points Poésie, 2013, pp. 193-194.
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1. Soufflenheim : ville du Bas-Rhin, cité des potiers.
2. Ried : marais rhénan, planté de roseaux.
3. Patrie du souffle, infinie.

Claude Vigée  |  Soufflenheim
2
sont voués pour toujours au travail double
du potier et du poète :
pétrir la pâte terrestre, modeler la glaise informe,
et puis germer dans la lumière matinale,
inventer les formes justes qui respirent,
réussir l'insufflation soudaine du vide
au cœur de la tourbe charnelle,
dans cette masse de limon lourde et mouillée,
ruisselante d'une opaque noirceur !
Tout lieu natal est travaillé
par la rivière du souffle
débordant sur l'obscur continent souterrain :
la matrice de l'origine
devient le globe
encore lourdement chtonien,
mais déjà rayonnant,
d'un vase.
Il résonne au milieu du feu
qui le peuple et l'enserre :
espace de musique habitable,
île de terre
ferme, où l'esprit-saint s'est pris soudain au piège
entre les parois rondes et sonores
dont la ténèbre a bu les vibrantes couleurs.
Voici notre maison nouvelle
modelée dans la face humaine :
devant un ciel d'oiseaux tissés dans les nuages,
l'haleine d'un visage.
Heimat des Hauches, endlos 3 -
sans rives ni frontières
la rivière du souffle coule
taciturne, sous la chape d'argile crue,
la demeure du sang.
Le corps muet me tourne sur sa roue.
J'habite la maison d'un potier du silence.


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