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Phytothérapie : Soigner Le Mal Par Le Mal, Pour Avoir Encore Plus Mal.

Publié le 23 juillet 2008 par Mélina Loupia
Phytothérapie : Soigner Le Mal Par Le Mal, Pour Avoir Encore Plus Mal.Tous les urbains que vous êtes ne réalisez pas la chance que j'ai d'habiter la campagne profonde. Celle où la pollution n'est qu'un prétexte pour détester d'avantage la ville, où le chant des oiseaux serait le seul tapage diurne notoire et préjudiciable à la tranquillité et ou encore le vaches nous regardent vivre et inversement. Mais là où l'aspect rural de la chose prend toute sa valeur, c'est la propension de seniors qui le peuple. La personne âgée vivant à la campagne est bien plus précieuse que ce que vous autres citadins pouvez l'imaginer. Car la personne âgée n'est pas nuisible, elle aurait plutôt tendance à contribuer au bien-être de la communauté en sabots crottés dont je fais partie. Outre son savoir et sa mémoire intarissables, son aigreur et son intransigeance font d'elle une force, que dis-je un atout majeur d'un petit village perdu tel le mien. Et j'en ai fait voilà quelques jours la riche expérience. Cuisante, mais riche en enseignements. Un matin vieux d'environs vingt jours, je me réveille et m'aperçois non seulement qu'une limace avait investi ma bouche et m'avait fait baver copieusement, mais encore directement sur le matelas. "Tain, cette nuit, j'ai bien cru que t'allais cracher du vert et te dévisser la tête avant de léviter tellement t'as bougé et foutu le bordel dans le lit. -En principe, tu me reproches d'avoir laissé un chat me chier dans la bouche au réveil, mais je t'aime aussi pour ta capacité à me surprendre pour ne pas tomber dans la routine. -Juste tu m'as balancé tes deux oreillers par la gueule alors que je tentais de te conseiller doucement de regagner ton côté du lit, et t'as dormi à même le matelas. -Alors c'est pour ça que je suis coincée ce matin. -Que ça t'empêche pas de me faire le café." En effet, je me retrouve dans l'incapacité de pencher la tête du côté droit, faute de quoi j'ai toutes les peines du monde à recentrer le débat. Un peu comme une blonde qui se serait interrogée un peu trop longtemps sur la couleur du string à mettre et, irrésolue, n'aurait pas pu se rendre au bureau. Concluant plus rapidement que la susdite péroxydée à un méchant torticolis, me voilà rendue sur mon lieu de fonction après avoir traversé le village par la départementale, et non par le petit chemin de traverse, peut-être trop dangereux pour mes cervicales. Je mets environs trois fois plus de temps pour rallier les deux points, puisque ma position suscite les plus vifs débats de la part de quelques uns de mes administrés tous occupés à regarder le temps passer sous leur nez. "Et alors? Qu'est-ce que tu as fait ma petite? -Tout ce que je sais, c'est que je peux plus pencher la tête de ce côté là. -Un coup de froid. -Non, un coup de chaud et un coup de froid par-dessus plutôt. -Non, sinon, la pauvre elle serait enrhumée, et elle est pas enrhumée, si? -Non, pas pour le moment, avec cette chaleur, ce serait bien malheureux. -Oh mais tu sais, la châleur, elle est traitre, on dort avec le drap la nuit, et au petit matin, le frais, on le sent pas, vu qu'on dort et c'est là qu'on attrape la mort. -Non mais ça va. -Ou alors, tu as trop travaillé le jardin. -Ou soulevé du poids trop lourd. -Tu devrais aller voir l'ostéopathe, je t'en sais un de bien. -Non, elle devrait faire de la kiné. -Oui, mais le docteur d'abord. -Si vous permettez, j'aimerais en premier aller travailler. -Tu devrais rentrer et te mettre la minerve au cou. -Et non pas, à plus tard les filles." J'aurais bien semé le doute et enflé la rumeur en les mettant sur la piste d'un désaccord conjugal, mais l'affaire aurait fait le tour du village, et comme il est tout petit, le soir venu, plus personne ne parlerait de moi et tout serait bien triste. Mais parler de son mal réveille celui des autres et depuis, tout le monde ne parle plus que de son arthrose qui le fait souffrir cent fois plus que la sciatique de cet abruti de voisin dont il ne faut jamais dire du mal. Dix jours ont passé sans que je ne puisse décocher un angle de vue différent. Tous les soirs en me couchant, je m'endormais en étant persuadée que demain serait un autre jour et que le vilain torticolis de sa mémé aurait levé le camp. Dix matins de collocation plus tard, je me réveille avec la main collée au cou et une sale migraine dont l'épicentre était précisément le point douloureux. Ma souffrance, que je tentais pourtant de masquer derrière mon sourire légendaire a attiré l'attention d'un de ces ancêtres taciturnes mais égal à lui-même, à savoir que pas un jour n'est passé depuis que je le connais sans qu'il ait manqué de me dire bonjour le matin et bonsoir au dîner. "Et alors, mais qu'est-ce que tu as fait? -Je sais pas, je suis bloquée depuis dix jours et ça empire. -Tu as vu le docteur? -Non, pas encore. -Je te sais un remède moi. -Je vous écoute, quoi que ce soit, et que ça soit efficace. -La clématite sauvage, c'est radical. Je me suis soigné une tendinite au coude que j'avais depuis des années, regarde, là. -La grosse trace blanche? -Oui, mais ça, c'est parce que j'ai fait une erreur dans le dosage et que je l'ai laissé trop longtemps, c'est te dire si c'est efficace. -Comment ça marche? -Tu prends une feuille, une seule, tu la haches menu-menu et tu te la mets là où tu as mal. Tu colles un Sparadrap et tu gardes ça deux heures et demi, pas plus, pas moins. Tu vas voir, ça pique un peu, et le lendemain, ça brûle comme un coup de soleil, et le surlendemain, tu as la cloque, et quand la cloque part, le mal part avec la cloque et c'est fini. -On la trouve où cette clématite sauvage? -Je t'en sais à un endroit, mais je t'en porterai. -Merci. -N'oublies pas, une feuille, deux heures et demi et après la cloque." Ce que j'applique immédiatement le soir venu. Comme prévu, à peine ai-je posé le cataplasme qu'un léger picotement se fait sentir, suivi d'une brûlure, précédant la sensation de me faire griller au barbecue. Comme prévu, au bout de deux heures trente de souffrance intense, j'arrache le pansement, et une partie de ma pilosité de cou pourtant déjà pauvre grâce à mon collier magique. Je fonce constater l'ampleur des dégâts dans le miroir de la salle de bains et à ma plus grande surprise, je me découvre une auréole trois fois plus étalée que la feuille appliquée précédemment, de couleur indéfinie, oscillant entre le rose du touriste anglais assoupi sans écran total au bord de la Manche et le vert du touriste français surpris par la roulis de la Manche sur le Ferry. Je tente alors de rassurer Copilote. "Mais c'est quoi cette putain de tâche? -C'est rien, c'est normal, c'est la plante magique. -Mais t'as vu comme c'est étalé et rouge, et vert? -Je te dis que c'est normal. -T'as plus mal? -Non mais c'est magique, pas miraculeux, on verra demain. -Si tu t'es pas transformé en amanite phalloïde pendant la nuit oui." Comme prévu, le lendemain, le pigment vert avait disparu, mais pas le rouge, qui au contraire, s'était étalé comme un Brie affiné. Comme prévu, la sensation de brûlure s'était atténuée, elle avait laissé place à une douleur insoutenable, comparable à la présence d'un chalumeau allumé dirigé sur mon cou, pour celles et ceux qui ont un jour testé la crème brûlée au chalumeau et ont loupé le ramequin en se cramant le bout du pouce, et je sais qu'ils sont nombreux. "Surtout ne mets pas de pansement, ni de crème, il faut laisser le mal sortir, demain, tu auras ta cloque, plus tu as mal, plus ça veut dire que tu vas mieux." Je n'ai même pas la force de tenter de comprendre la logique du pronostic pseudo-médical de la personne âgée, par principe sage et expérimentée. Et j'ai tellement mal au cou que je ne suis pas en mesure de faire quoi que soit d'autre que de souffrir. Le sourire a disparu, un méchant rictus annonce la couleur. "Tu as l'air d'avoir mal." "Mais qu'est-ce que tu as fait dans le cou?' "C'est un taon qui t'a piquée." "C'est un frelon qui t'a piquée." "Maman, c'est une fourmi tueuse d'Afrique qui t'a mordue?" "Tain, le suçon, félicitations, la nuit a dû être chaude. -Ta gueule tout le monde, j'ai mal et je peux rien dire pour le moment, sinon je brise l'anathème." Comme prévu, le surlendemain, une belle cloque molle en subissant l'attraction terrestre pend à mon cou, et avec elle le lot habituel de tiraillement, de démangeaison et toujours la torture de la brûlure. "On dirait une énorme goutte d'huile qui veut pas tomber maman. -Pour voir, secoue la tête pour voir si ça fait glouglou? -Très drôle, c'est JUSTEMENT PARCE QUE JE PEUX PLUS TOURNER LA TÊTE QUE J'AI CETTE PUTAIN DE CLOQUASSE DE MERDE DANS LE COU. -Oh vas-y, ça t'empêche d'avoir de l'humour. -Un conseil, vas exhumer ton clown ailleurs avant de plus pouvoir parler tellement tu seras occupé à ranger tes dents dans ta bouche." Comme totalement imprévu, le lendemain suivant, et alors que le tiraillement était devenu intolérable, je décide en me réveillant de me masser le cou. Erreur fatale. En passant la main dans mon cou, j'ai décollé une mèche de cheveux qui s'était posée sur la cloque, perçant cette dernière juste assez pour me faire hurler et réveiller toute la maisonnée. "Ah bé alors là, c'est sûr, il avait pas prévu le percement de la cloque le vieux alors là c'est sûr tu vas pas guérir, alors là. -Alors là, hors de portée de vue et de voix, sinon je vous empale tous sur un rameau de clématite sauvage, en plein soleil pendant huit jours. -Oui mais alors là c'est sûr... -Ta gueule, allez viens, je te l'ai dit cinquante fois que maman, au réveil, faut rien lui dire avant le café. -J'AI TOUT ENTENDU. J'ATTENDS LE CAFE MAINTENANT. -Le lui fais pas trop chaud, en ce moment, elle a pas besoin de chaud. -Putain arrête de nous emmerder avec ta clématite et ta cloque et vas chez le docteur comme tout le monde. -Pour t'aider un peu, sache que tu as trente-deux dents." Comme si gentiment proposé, je fais venir le docteur à la maison le matin d'après. "Oh la belle allergie! Tiens, des ganglions, et une infection, une! Oula, je sens une belle contracture en dessous, c'est quelle plante qu'on vous a enseignée? -La clématite sauvage. -J'aurais fait pareil à votre place, on pense que tout ce qui vient de la nature a des vertus thérapeutiques, mais on oublie que certaines plantes sont mortelles, heureusement que la clématite sauvage ne l'est pas. Enfin, maintenant, vous saurez que vous y êtes allergique. -Et c'est grave, docteur? -Non, juste le traitement  un peu contraignant, un décontracturant qui fait dormir, un anti-inflammatoire qui bousille l'estomac, une lotion désinfectante, une crème protectrice et une apaisante, et le méchant torticolis aura disparu. -Alors j'avais raison, c'était juste un méchant torticolis. -Comme quoi, il ne faut pas forcément soigner le mal par le mal, surtout avec les plantes. -Tu as raison Docteur, il faut pas fumer de la drogue, même si c'est de l'herbe."

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LES COMMENTAIRES (1)

Par lodela
posté le 26 mars à 10:46
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Merci pour ce moment de vie savoureux. J'ai tellement rit que mon torticolis s'en souvient!! Mais ça ma fait du bien quand même. Je compatis (bon c'était en 2008 tu as du t'en remettre depuis) Vive la phytothérapie, mais sans allergie bien sûr.

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