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Germain Roesz, La Part de la lumière par Angèle Paoli

Publié le 22 octobre 2020 par Angèle Paoli

Germain Roesz, La Part de la lumière,
textes, poèmes, peintures de Germain Roez,
L'Atelier du Grand Tétras, 2019.
Préface de Claude Louis-Combet.
Entretien entre Michel Guérin et Germain Roesz.

Lecture d'Angèle Paoli

DU DIALOGUE ENTRE LES MONDES

P artir à la découverte de l'œuvre de Germain Roesz, c'est cheminer avec son auteur vers la lumière. Car la lumière lui est consubstantielle et primordiale. Elle est d'une certaine manière le socle de sa personne et de son art. Elle constitue aussi le champ de ses explorations, de ses multiples interrogations et de ses doutes. Elle va de pair avec ses enthousiasmes, sa création, sa générosité. Il n'est qu'à lire La Part de lumière pour pleinement s'en convaincre. Cet ouvrage polyvalent rassemble textes de réflexion personnelle et manifestes, poèmes vastes et amples et peintures vives. Un livre " qui interroge l'entrelacement de la peinture et du poème. " " Un livre qui cherche la parole perdue du poète, la parole perdue du peintre, la parole perdue du penseur. " Un livre qui, refusant l'anonymat, " accepte de dire je. " Un livre engagé dans sa parole, dans ses choix, dans ses actes. " Un livre poème, Nous y sommes ", qui mérite que l'on s'y attarde exclusivement. Qu'il s'agisse de poésie ou de peinture, de réflexions sur la création, d'analyses théoriques, esthétiques, poïétiques ou poétiques, la lumière irradie. Et déconcerte. Aveuglante et aveuglée.

" La porte s'ouvre, j'aveugle la lumière

un instant ", écrit le poète.

C'est elle, cette lumière, qui me retient, une fois l'ouvrage rendu à son silence. La lumière traverse. De part en part. Les écrits et les toiles. Diffracte ses éclats. De " soleils métalliques " en " perle[s] de lumière ", elle se perd aussi en obscurité et en brouillards. En " [o]rdalie des ténèbres ".

" Le couteau profond

loin

dans la chair innocente

Du noir encore

dans l'aube qui se ferme

à chaque coupe coupent

les yeux s'avancent intenses

sur le voile de la nuit... "

C'est la lumière du dehors qui ramène avec elle, sous le regard de la mémoire, la pénombre de l'atelier :

" Sous le soleil je me demande que fait la lumière seule dans l'atelier que fait la lumière ? Sous le soleil je me raconte l'atelier dans la pénombre... ".

C'est la lumière de l'atelier, noyée de franges d'ombres, et celle des tissus froissés. C'est la lumière qui éblouit les pages de ce livre que jalonnent les peintures du poète. Les jaunes or fusent et diffusent, épousent les rouges vifs et vermillons pour fusionner ensuite avec des bleus, des mauves et des verts. Et s'il y a des fulgurances noires, elles sont là pour traverser en un jet de flèche l'espace de la toile. Sa matière, ses mouvements, ses (dé)équilibres. Ses mouvements de balancier. Pour conduire le regard sur le fil de la lame, en amont de la couleur. Ou attirer celui-ci jusqu'à l'extrême, dans l'éclaboussure violente du sang. Il y a dans La Part de la lumière autant à voir qu'à méditer. Mots et matière. Matière agrégée aux mots. Un tel livre ne laisse aucun répit. Tant " l'exubérance du libre don ", " l'abondance " généreuse et vitale (expressions empruntées au philosophe Michel Guérin), l'insatiabilité du créateur, emportent dans leur flux. Un tel livre offre sans cesse à réfléchir, à découvrir. Il aborde nombre de zones inexplorées (par la lectrice que je suis). Un livre inépuisable, débordant d'une pensée revigorante, d'une pensée revitalisante. Et que je tiens encore aujourd'hui à portée de main.

J'ouvre le livre au hasard et je lis :

" Noir et Voir si proches. Les yeux broient la lumière jusqu'au noir. "

De tels énoncés me happent, qui s'inscrivent durablement dans ma mémoire.

La lumière donc, son incandescence, ses éclairs et ses éblouissements. " Ses auréoles d'or ". Mais ses cendres aussi. Ses déchirures. Car derrière la lumière pointent la noirceur, le sang et la terreur du monde. Éclats de vie saisis au vol, " brumes épaisses " et " odeurs putrides ". Cris et " clameurs des révoltés ".

" Nous noués dans le chagrin

Un arbre une branche noués

Dans ce long loin silence

Noués dans la peur

Nous ne savons pas

Un tel silence

Et pourtant nous y sommes... "

écrit le poète dans le long poème " Nous y sommes ". Comment ne pas se sentir concerné par l'actualité perdurante de ces vers ? Par leur durable présence ?

Tout cela, qui nous bouleverse, habite l'œuvre de Germain Roesz. Comme l'habite tout ce qui appartient au monde. Tout ce qui le compose. Et qui touche la sensibilité de l'écrivain. " Que fait le poète, le peintre face à l'horreur ? ". Suit une méditation sur le monde, sur la douleur, sur l'art :

" L'art me permet une acuité, un engagement qui comprend mieux le monde qui nous cerne. "

Le poète et plasticien travaille sans cesse au cœur de cette douleur. En homme de son temps, en artiste engagé dans son temps, Germain Roesz revendique haut et fort cette appartenance qui lui dicte ces mots, que je relève dans la rubrique " Époque " :

" Nous voyons l'époque quand l'époque nous voit. Nous luttons pour ne pas lui ressembler comme une épreuve copiée. Nous luttons pour que dans le poème, dans le texte, dans la trace peinte persistent de la vie autour et de la vie intérieure. Oser la mousse froide de l'hiver. Osmose. Os errant dans l'entrechoquement d'un bateleur, dans le sourire d'un enfant. Oser refuser de l'époque son cortège de morts, d'inepties ".

De cette sensibilité à fleur de peau tient aussi le lyrisme qu'évoque Michel Guérin dans l'entretien qu'il mène avec le plasticien-poète. Par lyrisme, le philosophe entend la nécessité viscérale de qui appartient à " l'espèce généreuse ", celle " qui paye de sa personne corporelle, par le cash de son intégrité : un être qui n'est pas dans la représentation. " Mais bien plutôt dans le faire et dans la fabrication du faber. Lesquels rejoignent le poïein du poète. Quant aux outils et matériaux recherchés et utilisés pour parvenir à la création de l'œuvre, Germain Roesz s'en explique, remontant à ses années de jeunesse, à ses formations, aux obstacles surmontés, aux rencontres décisives qui ont présidé à ses choix. Ainsi dans cet extrait de l'entretien avec Michel Guérin :

" Je suis arrivé à la peinture et à la poésie, comme un autodidacte (les études, ce fut après). Je veux dire par là que j'ai d'abord fait l'expérience d'une découverte que je ne comprenais pas (la lumière, son fonctionnement et d'une certaine manière sa magie). J'ai appris en quelque sorte, au départ, seul, avec mon regard (les œuvres), la lecture (la poésie, le roman), j'ai inventé ma technique de la même manière qu'on observe notre mère faire la cuisine, les mélanges, les herbes ajoutées, les temps de cuissons appris et expérimentés, transformés... " .

Matériaux, gestes, inventions. Germain Roesz est toujours en recherche, sans cesse happé par la diversité et par la fulgurance des formes. Sans cesse à l'affût de nouveaux matériaux et de nouveaux supports. Car " tout support est une mémoire (qui renvoie à) qui constitue un monde (sur) ou /et à partir duquel on travaille. " Ainsi du " recouvrement comme transparence ", méthode qui remonte à la nuit des temps, que Germain Roesz pratique, comme en atteste sa collection des 2Rives ; laquelle " propose de rapprocher les rives de la peinture, du dessin, du collage, de la langue et de la poésie ". Cette collection menée en compagnonnage avec Claudine Bohi met en évidence la nécessité et le désir que " naissent des lieux dits dans l'interstice des couleurs, dans le tracé des gestes, dans la force des mots. "

Réflexion que le plasticien-poète développe dans les pages spécifiquement intitulées " Recouvrement comme transparence " :

" Il y a [...] dans l'objet final une dimension qui nécessite une manipulation (mentale : c'est de l'abstraire), quelque chose qui échappe à la présentation habituelle. Cette manipulation introduit de la temporalité. Ce qu'on saisit alors de l'œuvre nécessite un retour. Peut-être s'agit-il d'une lecture sans fin, où le travail du regard, de la pensée et de la mémoire met en branle un recouvrement proche de la transparence (qui apparaît puis disparaît instantanément). "

Tout, dans le travail de Germain Roesz - et dans la pensée qui l'anime -, repose sur le dialogue entre des mondes apparemment disjoints et dont il se fait le passeur. La Part de lumière traverse ces mondes. Une manière exemplaire de tracer à travers mots, matières et couleurs un haut chemin de vie et de création.

Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli


Germain Roesz,  La Part de la lumière  par Angèle Paoli


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