LETTRE A ML L ongue a été la route
(extrait)
et pendant longtemps
entravé par le doute
j'ai été empêché d'avancer
il y eut alors l'enlisement
la détresse des jours morts
cette attente qui n'en finissait pas
il y eut ensuite la tâtonnante
exploration du labyrinthe
et je désespérais de voir luire
la lumière qui me tirerait de la nuit
il y eut enfin à longuement creuser
à poser de solides fondations
puis pierre à pierre
à monter mes murs
et construire avec soin ma maison
toi
mon constant soutien
ma pierre d'angle
tu n'as jamais douté
jamais failli
quand je pense
à ce que tu es
à ce que tu m'as donné
au chemin parcouru
je sens monter des larmes
Un jour
ma barque s'est détachée
s'est éloignée du port
et sans que je m'en sois
rendu compte
poussé par le vent
j'ai dérivé
longuement dérivé
À me découvrir seul
loin de mes semblables
j'étais dévoré d'angoisse
Mon unique désir
était de revenir parmi eux
là où était ma place
D'autant que mon embarcation
prenait l'eau
Ou bien était-ce moi
qui déjà me fissurais
me délabrais
Je n'avais plus la force de ramer
de diriger ma barque
N'allais-je pas bientôt sombrer
Je ne me sentais pas de taille
à affronter les tempêtes
que j'aurais à essuyer
Je me rebellais voulais retrouver
la quiétude de ma vie d'avant
mais il ne m'était pas possible
de maîtriser ma dérive
et j'ai dû m'abandonner
Charles Juliet, " Lettre à ML " (extrait), Moisson, P.O.L éditeur, 2012, in Pour plus de lumière, Anthologie personnelle 1990-2012, éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard n° 554, 2020, pp. 419-420. Préface de Jean-Pierre Siméon.