Magazine Journal intime

Acte II, dernière scène

Publié le 23 juillet 2008 par Pffftt

J’avais convaincu Denis de faire encore deux interviews pour moi. Ce type avait la capacité de faire parler les gens du fond d’eux même, sans doute ses yeux gris, ou encore un genre d’empathie, qu’importe. Moi je n’aime pas beaucoup les gens, mais j’aimais Denis, c’était bien suffisant pour terminer la partie 2.
Aimer Denis ça me prenait du temps, ça me donnait mal au ventre et l’inspiration, ça faisait même briller mes yeux de merdeuse…c’était un nouveau genre, un qui fait zarbi et peur. J’étais bien moi. Juste aimer Denis et écrire. J’étais bien.
Dans mon roman il y avait cette jolie fille Lucie qui aimait ce pauvre gars de Marius. Pour peaufiner mon truc Denis avait joué le jeu jusqu’au bout, il était allé voir les deux piliers de cette filles, et après moi je n’avais plus qu’à lire les retranscriptions, les romancer et bingo ! Ces deux mecs étaient des killers, mais Denis il était bien fort, il avait même pas craint pour sa vie et franco il avait branché son dictaphone sous le nez de ces deux zozo, et moi ma partie 2 maintenant je pouvais la boucler.
J’ai récupéré l’enveloppe illico presto, j’ai téléchargé du son à l’arrache que j’ai balancé dans mes oreilles de sourde et j’ai allumé le PC. Voilà, j’ai craché ça, les deux plus violents chapitres de tout ce foutu roman, les meilleurs…tout ce qu’il restait à régler je l’ai craché…et après ?
Après fallait penser à la partie 3…mais j’aimais Denis. J’étais bien moi. J’aimais Denis en silence, derrière la vitre crasseuse…et grâce à lui, voilà, je me glissais dans la peau des autres comme une petite voleuse, je devenais celle qui passe le message, celle qui ferait de Marius et Lucie un roman d’amour et, toute « libre » que j’étais, j’écrivais des trucs comme ça :
FATHI BAKRESSA (premier amour de Lucie) parle d’elle à Rob-Super-Rob :
"Elle a planté ses yeux, là dans les miens, et après elle voulait pas bouger son cul. C’était mon toit, ma tour, ma cave, j’étais le prince du gang, les autres devaient suivre et fermer leur gueule mais elle putain fallait tout négocier, chef ou pas chef elle me défiait…
Et moi comme un con, je kiffais ça plus que tout.
Le duel avec elle, et puis me faire battre comme une merde et ses yeux de victoire. Je pouvais que lui donner du mensonge parce que pour lui plaire fallait être réglo et moi j’été plutôt à l’américaine, sans trop de respect quoi. J’l’ai baratiné, ou j’ai fermé ma gueule. Mais de toutes façons j’étais pas là pour avoir confiance en elle, juste la garder, qu’elle reste toujours ma femme.
Elle disait « mon chevalier servant » et je devenais important.
Et ben j’me suis fait pécho j’en ai pris pour 10 ans et Lucity a pas pu comprendre, c’était dure faut dire, j’avais donné dans le gros bobard, elle était furieuse, et n’a gardé que de la rage envers moi. Je crois.
J’ai déconné, tant pis pour ma gueule.
Ça fait cinq ans déjà, avec les remises de peine je sors dans sept mois et p’t’être que je la revois. Elle n’est jamais venue au parloir. Chaque mois elle envoie une lettre et un livre, des histoires de voyages, j’ai quand même lu du Jules Vernes moi Monsieur Rob!
La cabane ne m’a pas adouci mais Lucie elle calme des violences et du coup je sais mieux dire les trucs importants. Tu vois par exemple, j’ai demandé pardon à mes parents. Ça fait mal aussi. Mais je suis différent maintenant. Dans leurs yeux, je suis différent.
J’ai aucune idée pour après, j’crois pas que dehors les choses aient beaucoup changé. Mais je m’imagine quitte, j’ai payé ma dette, je vais peut-être trouver ma chance dans un coin du quartier. Il paraît qu’ils ont muré les caves, « nettoyer » les cages d’escalier et démonter les bancs…
Ce jour où les keufs ont débarqué genre 6 heures du mat dans les caves, on a mis les capuches pour courir et Lulu me dit :
- J’courre pas moi j’ai rien fait là tout de suite j’ai rien à me reprocher
J’lui ai répondu du tac au tac :
- Ben moi si alors tu permets j’me casse !
Mais elle a pas bronché, ses yeux vissés en moi et j’ai pas bougé une sketba. J’allais pas m’faire fermer ma gueule par cette princesse ! Notre dernier duel. On a perdu tous les deux cette fois. Des gamins, ont était pire que des gamins même j’crois !
Les flics m’ont repéré direct, j’me suis retrouvé au sol, mains derrière le dos, pelotage de rigueur, tutoiement de non-respect, la totale classique. Ils ont embarqué Lulu aussi, sans raison c’est clair, sauf qu’elle baisait avec le truand…et p’t’être qu’elle aurait pu avoir des infos en or. Mais elle était mineure et en plus je lui avais menti alors ils allaient rien lui faire cracher.
Ils ont dû la relâcher direct.
J’avais au moins réussi ça tu vois, la protéger…
C’était le bordel, on entendait courir et gueuler dans tous les couloirs : « police », « contrôle d’identité », « mains sur la tête », « et tu te calmes là mon pote », « putain il se casse choppez moi ce con là !! ».
On voulait juste survivre et être un peu libres, ça posait problème.
Que du gâchis putain !
Je cherchais Lucie de tous les côtés, et dans l’ombre et les hurlements, j’ai vu son visage.
Et elle s’est mise à gueuler :
« Pourquoi tu gardes toujours cette capuche Fath ? C’est toi qui a tort là, putain c’est toi le brigand ??? Tu vas les laisser faire ? ». Elle me suppliait des yeux pour que je me défende, et que je réagisse…mais je pouvais faire quoi ? Sortir un flingue ? Dire à ces connards que j’avais rien à voir avec la came ? Cracher dans le vide ???
J’ai rien dit, y avait plus rien de bien important, elle était furax, elle était déçue, je savais que j’allais plonger pour un moment. J’ai juste pensé dans mon cerveau de branleur : « qui va la protéger maintenant ? », je croyais que j’étais le seul capable de ça, mais c’est des conneries hein ? La vérité c’est qu’elle avait tout pigé bien avant moi…
Elle se tape ce petit con de Marius Colin maintenant…elle baise avec un travailleur social, avec une pétasse d’assistante sociale ! Qu’est-ce que j’y peux moi ? Hein Rob, t’as une solution toi pour les protéger contre elles mêmes les gonzesses ?
Ouais je continue…
Le commandant Ducon l’a chopée par les cheveux : « foutez moi l’hystérique dans le fourgon elle me les casse là !!! ». Ils l’ont embarquée, comme de la merde, à la sauvage, sans respect…Je l’ai pas quittée des yeux. J’ai fait comme j’ai pu parce que l’enculé qui me tenait au sol, m’écrasait la tronche avec sa godasse pleine de merde. Elle a résisté aussi Lucie, jusqu’au dernier instant, son regard toujours planté dans le mien. On s’est agrippé l’un à l’autre, pupilles dilatées à cause de la pénombre, on voulait se graver pour toujours, yeux dans les yeux.
Elle et Moi.
J’ai plus jamais entendu sa voix depuis, juste ça raisonne dans ma tête encore et encore, retour à la case départ.
C’est pas le genre de fille à prendre son téléphone et te prendre la tête du style : « qu’est-ce que t’as fait ? Pourquoi t’as fais ça ? T’es un pourri, un minable… »
Nan, elle fait pas ce genre de truc. Elle, depuis cinq piges, elle ferme sa gueule et elle m’envoie des bouquins. Putain de littérature va !
Rob, j’ai un truc à dire à Lulu, ça enregistre là, je peux causer ? Et l’écrivain, vous êtes sûr qu’on peut lui faire confiance ? Elle va lui transmettre mon message à Lucie ?
Okay, bon. J’y vais.
Moi c’est toi que j’veux voir Lucie et ta peau que j’veux toucher, qu’est-ce que tu veux que je montre au monde putain ? J’vais t’raconter un truc Lucity et après tu m’diras si j’suis un beau gosse face contre terre :
Je fais des pompes, le tour de ma cage, des pompes, des clopes, du texte, le tour de ma cage, des pompes, des histoires, des pompes, des mots, le tour de ma cage, je zappe, des pompes, tes lettres, visites au parloir, le tour de ma cage, tes mots, des clopes, bavures, tes histoires, ton visage, une frappe, des pompes, tour de la cage, du texte, ton visage, le dehors, la télé, le style, des pompes, des clopes, de la baston, Boum-boum, le tour de la cage, croix sur le calendrier, du texte, du style,promenade, la gloire, toucher le fond, intox, rage, le vide, je craque, des pompes, tour de ma cage…Tes yeux verts.
J’arrive plus à planer, y a que des cris qui me tuent, de la haine qui gifle, des bavures, des griffures, y a plus qu’à se taire pour pouvoir vieillir, je cherche un truc pour pas exploser, y a plus que deux cents nuits à faire sans étoiles, plus qu’à creuser le tunnel pour venir jusqu’à toi…Y a toute une histoire derrière ces putains de barreaux, qu’est-ce que j’ai foiré pour être enfermé là ?
Est-ce que t’as un peu raison sur moi ? Est-ce qu’il y a un mec bien qui se planque, pas loin ? Depuis pas longtemps j’parle mieux, j’lis des livres et j’regarde le ciel du dehors, comme toi tu me l’as appris.
Mais si un jour je sors en vie de cette putain de taule ma Lulu, tu devras enlever toi même la capuche…et montrer ma face au monde.
Parce que tout seul moi…je suis pas sûr d’oser le faire…
Je suis né racaille."
NOA JAVAIS - petit frère spirituel de Lucie, ils ont grandi ensemble au foyer éducatif- Interview de Rob-SuperRob, dernier chapitre partie 2.
"Elle dit de moi : le petit prince. A cause de mes cheveux et ma tête toujours ailleurs.
Depuis longtemps maintenant on avance ensemble. Ne l’écoutez pas lorsqu’elle prétend être en paix avec toute cette merde…elle ment. Lucie dit de moi : un jour tu comprendras, c’est encore trop tôt, tu es jeune. A cause de ma rage et des violences. Depuis longtemps maintenant on est adulte. Ne l’écoutez pas lorsqu’elle prétend être réparée avec son histoire…nous sommes nés brisés.
Je suis arrivé au foyer éducatif j’avais 5 ans et je ne savais que brailler. Du bruit.
Elle en avait 9 et ne parlait pas. Du silence.
Nous nous sommes trouvés, c’était obligé. Ensemble nous avons cherché un juste milieu, une corde à rattraper. C’était mieux à deux. Sécher les larmes.
Je ne suis qu’un mec moche, crade, gris. Mais Lucie, elle brille.
Je ne supporte que les rapports violents avec de vieux pervers sado, je ne passe jamais deux nuits de suite dans le même lit, je n’ai pas de limite, pas de présent, pas de nom. Mais Lucie, elle brille.
Elle s’attache à des gens sans avenir, comme une rédemption. Elle s’imagine pouvoir réparer, mais elle perd à coup sûr, c’est sans issue.
Il y a eu sa mère, Fathi…moi.
Sans issue.
Il y a ce type qui sourit. Marius Colin. Lui, il saura faire, je crois ça moi, il saura la faire gagner. Je suis seul à y croire pour l’instant, mais c’est bien déjà. L’auteur et moi on y croit, il y a des gens qui peuvent y gagner et d’autre pas, c’est comme ça.
Cette semaine j’ai déconné, une fois de plus.
Lundi, mon père est enfin mort. 10 ans que j’attends ça. Il m’a enculé tant de fois. Mercredi, après l’enterrement je suis allé cracher sur sa tombe. Ma mère était là aussi. Elle s’est mise à rire avec des yeux de folle. Elle savait tout elle aussi, toutes ces nuits elle a su mais elle s’est tue. Aujourd’hui encore elle prétend qu’elle ignorait tout. Est-ce possible ?
Saïd m’avait emmené dans sa BM. Au bout d’un moment, il a tapé sur mon épaule et m’a fait signe qu’on devait se casser. Je tremblais. On s’est pris une ligne dans la bagnole, et il a démarré. Je me suis laissé partir le cerveau, je ne savais rien faire d’autre. Il a pris l’autoroute, s’est tapé un délire de vitesse…j’ai kiffé.
Comme Saïd est un bon truand, il chope toujours des laissez-passer pour les soirées branchées des beaux quartiers. Alors, il m’a traîné dans une boite de branquignolles pour refourguer ses cachetons à bon prix. Je l’ai suivi sans hésiter, je n’avais rien à faire de mieux.
On s’est installé au bar pour repérer les clients, j’ai avalé deux verres d’un trait et je me suis laissé brancher par une vieille pédale. J’ai sucé ce type dans les chiottes avant de dégueuler mon dernier sky dans le lavabo. Je me sentais mauvais et minable, près à tout lâcher…j’ai regardé ma tronche.
Dans le miroir design j’ai reconnu la gueule de looser de mon paternel. Je l’ai fracassé avec mes poings, le verre s’est brisé. Peu importe qui gagne. Peu importe.
Je me suis rassis avec Saïd, il a regardé mes mains, le sang sur mon froc.
Je commençais à redescendre, il m’en fallait encore. J’ai commandé un autre verre, Saïd m’a regardé d’un air mauvais :
- T’en as assez là Noa, on se casse viens !
- C’est bon, un dernier verre…
- T’en as plein le pif déjà…allez arrête de tiser on s’arrache.
- Saïd fais pas ta pétasse, lâche-moi !
Il a réglé la note avec un gros bifeton vert, m’a chopé par le col et m’a collé direct sur le siège arrière de la BM. Il avait l’air contrarié alors j’ai pas insisté. Il est bien plus grand que moi Saïd. J’ai fermé ma gueule, il a claqué la portière d’un coup sec, le moteur rugissant a hurlé dans la nuit, j’ai serré les poings et je me suis endormi.
Maintenant Rob, je te raconte le truc au présent, l’auteur aime ce temps, le présent. Ouais je connais Lila, je la connais bien même…elle ne veut pas qu’on parle d’elle je crois…donc là, je te raconte au présent :
Le matin à l’aube.
La portière s’ouvre brutalement, je sens comme une odeur de sel…
En clignant des yeux je reconnais son visage. Je suis recroquevillé sur le siège arrière, mes mains sont bandées, ma tête à l’envers, j’ai froid. Elle me balance son grand pull péruvien à la tronche.
- Enfiles ça, on bouge !
- Qu’est-ce tu fous là Lucie ???
Saïd assis derrière le volant se retourne vers moi :
- J’suis passé la prendre, tu m’as fait flipper hier soir gamin…
- C’est bon, ça va, je suis grand !
On sort de la caisse, il y a la plage, la mer, le sable…Saïd a roulé toute la nuit, au moins quatre cents bornes pour en arriver là...
- Qu’est-ce qu’on fout ici ? Je gueule.
Lucie me répond de sa voix douce :
- On te répare…
- Tu m’emmerdes j’ai pas besoin !
Elle fait comme si elle n’entendait rien, colle ses deux mains contre ses oreilles et secoue la tête en souriant. C’est elle la première qui enlève ses godasses et courre vers les vagues. Saïd pose son cul sur le sable, il s’appuie contre un rocher, met sa capuche, main dans les poches et s’endort. Je ramasse un petit galet doré, je le fourre dans mon jean. Je la regarde au loin, elle est déjà près de l’écume, petit point noir perdu dans l’espace infini…une fois de plus elle me ramène à la vie, comme quand nous étions si petits…
Je suis comme un gamin, je m’élance à sa poursuite, on se donne la main, du sel dans la bouche, du sable dans les yeux. C’est bien mieux.
Après ça, elle, lui et moi on est assis face à la mer.
Elle a les pieds bleus de froid.
Il a les yeux rouges de fatigue.
Je les ai eux, ils soutiennent ce qui reste de moi, convaincus que j’en vaux la peine.
- Pourquoi tu ne m’as pas dit que ton père était mort ?
- Quelle différence ça fait qu’il soit crevé Lucie ?
- Maintenant, tu peux ouvrir tes ailes, nous sommes là en cas de chute…
- T’en pense quoi toi Saïd ?
- Lucity a souvent raison, mais fermez vos gueules là, j’entends plus le bruit des vagues.
Lucie et moi on a posé nos têtes sur les épaules de Saïd, parce que c’est lui le plus fort. Il s’est raidi parce qu’il a horreur de ça, mais il a passé un bras derrière sa nuque à elle et l’autre derrière mon dos, on a soupiré tous les trois.
Si le mal nous rattrape, on aura gagné quand même un souvenir en or salé. Et je comprends bien que la liberté est à notre portée…comme une étoile. Reste juste à assurer nos arrières…"
Fin de la partie 2 pour moi, dernière scène de l’acte.
J’ai cliqué sur l’icône avec la disquette : enregistrement immédiat.
Dans mon dos, le souffle de Denis et sa voix grise elle aussi :
- T’as avancé un peu Lila ?
- Pourquoi ?
- Ça fait 4 heures et 21 minutes que t’es là…
- Et toi tu as faim ?
- Forcément ouais.
En bas, Yassine nous attendait, tout sourire et tout fredonnant, j’avais retrouvé l’appétit, le ventre vide, les gargouillis dedans.
Il faisait chaud.
Rideaux.

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