La Grande guerre va renverser le modèle ( jusqu'ici) ''dreyfusard '' et universel de l'intellectuel...
Aurions-nous perdu confiance en la civilisation européenne ?
Nos rencontres, nos débats, en Allemagne, n'exprimaient-ils qu'une partie de notre pensée, cachée derrière des apparences de civilité... ?
Nos discours aujourd'hui sont en rupture des réseaux
Henri Bergson, en séance de l'Académie des sciences morales et politiques : " La lutte engagée contre l'Allemagne est la lutte même de la civilisation contre la barbarie. Tout le monde le sent, mais notre Académie a peut-être une autorité particulière pour le dire. Vouée en grande partie à l'étude des questions psychologiques, morales et sociales, elle accomplit un simple devoir scientifique en signalant dans la brutalité et le cynisme de l'Allemagne, dans son mépris de toute justice et de toute vérité, une régression à l'état sauvage... "... Même Emile Boutroux, connaisseur de la philosophie allemande, présente la guerre sous le jour d'une croisade...
Les scientifiques se mettent au service de la nation en danger, en orientant leurs travaux sur de nouvelles armes
Sources : Les intellectuels français et la Grande Guerre, Christophe ProchassonLe quotidien catholique La Croix, accuse la philosophie allemande, dont l'origine remonterait à Luther, pour donner Kant... Il dénonce le panthéisme officiel allemand, avec Fichte, Schelling, Hegel; et c'est Maritain qui affirme que Fichte nous montre " la liaison essentielle du pangermanisme avec la révolution luthérienne et kantienne ". Le philosophe conclut que " le poison panthéiste et hégélien a passé tout entier dans l'organisme intellectuel de l'Allemagne. [...] A ce point de vue, on peut dire que c'est Hegel, avec derrière lui Kant et Luther, qui nous fait la guerre aujourd'hui. "
Dominique Parodi (1870-1955), professeur de philosophie, ( à Limoges de 1897 à 1899), - devenu inspecteur général de l'Instruction publique après la Première Guerre mondial - anticlérical, rationaliste et républicain ; s'interroge sur le ''problème moral'' de la Guerre, et tente de la justifier par la raison.
Agé de 44 ans, il n'est pas immédiatement mobilisable, mais il peut être appelé à servir dans la '' réserve de l'armée territoriale ''. Il est refusé à deux reprises par le conseil de révision... Il ressent une " angoisse de l'inaction" mêlée d'un sentiment de culpabilité...
Il s'oppose à toute mystique patriotique ( comme Bergson) ou guerrière...
Dominique Parodi face à ce qu'il nomme " la dimension spiritualiste et mystique de la morale allemande de la guerre '' défend la rationalité des principes de 1789 ; il tente d'identifier la " cause idéale (...) pour laquelle il vaut la peine de mourir et dont la défaite ferait qu'il ne vaudrait plus la peine de vivre. ". Il tente même de conjuguer : soumission à la censure, consentement intellectuel à la guerre et revendication d'une liberté critique à l'égard de certains discours bellicistes. Il reconnaît la faiblesse intrinsèque des démocraties en situation de guerre, lorsqu'elles restreignent la liberté d'expression ; mais la démocratie ne peut être incompatible avec une guerre patriotique et juste..
Dans cette guerre, il s'agit de montrer une '' altérité allemande irréductible '' et affirmer la légitimité d'une guerre du droit contre la force.
L'Allemagne justifierait sa guerre, par la suspension du droit au profit de la force ( brutale et divinisée...). La force crée le droit, une certaine nécessité fait loi. Ensuite le peuple allemand se considérerait comme un ''peuple élu'' ; à l'appui cette citation de Rudolph Eucken, l'un des philosophes allemands signataires du Manifeste des 93 : " Au peuple allemand, plus qu'à aucun autre peuple dans l'histoire, est confié le soin de l'âme intérieure et de la valeur propre de l'existence humaine. "
Il semble vrai que le vocabulaire employé par la propagande allemande soit celui d'un " combat pour l'existence " ( Kampf um's Dasein).
Finalement, Dominique Parodi refuse de voir la guerre comme moralement régénératrice, comme une réponse à la " crise morale " de l'avant-guerre.
Il semble que " la vie humaine a, du jour au lendemain, perdu toute importance", par nécessité la responsabilité collective se substitue à la responsabilité individuelle. La guerre demeure toujours " immorale ", et doit être admise comme un " moindre mal ".
Le philosophe ALAIN ( pseudonyme d'Émile-Auguste CHARTIER) (1868-1951)
Brigadier artilleur, pendant la grande guerre, témoin d'atrocités, il publie un pamphlet '' Mars ou la guerre jugée''. Il témoigne que la guerre est le pire des maux : pire que l'injustice sociale et la misère... Pour ce qui est du soldat: " l'ordre de guerre a fait apparaître le pouvoir tout nu, qui n'admet ni discussion, ni refus, ni colère, qui place l'homme entre l'obéissance immédiate et la mort immédiate ".
Alain, impute aux humains la responsabilité de ces horreurs ; il ressent " le terrible remords d'avoir approuvé trop légèrement des discours emphatiques.. "
" La guerre prouve que ce sont les passions qui mènent le monde, et non pas la simple recherche de l'intérêt. L'homme est souvent prêt à tout sacrifier. D'ailleurs " si on explique la guerre par l'universel égoïsme, comment expliquera-t-on cet esprit de sacrifice sans lequel la guerre ne commencerait point ? " (Chap. XIX)