Alors que le film vient de s’offrir au public après une année de travail et que je bascule lentement vers de nouveaux projets. Mon esprit vagabonde sur les souvenirs de celui-ci. J’ai rencontré le Dr Philippe Binder en septembre 2019, alors que je travaillais déjà sur la série Lupin’s Tales de Xilam en tant que chef animateur. Il m’avait préalablement envoyé une foule de documents m’expliquant qu’il avait écrit un rap sur la base d’un échange entre un généraliste et des ados et qu’il voulait en faire un film d’animation en utilisant tout un univers de métaphores basées sur son travail. C’était à la fois très clair et très confus. Les idées étaient là, mais il était encore impossible d’imaginer à quoi pourrait ressembler un film qui les rassemblent. Ce premier rendez-vous était une rencontre de séduction, nous étions plusieurs à avoir répondus à l’appel d’offre de Philippe pour son projet de film. Sans le savoir à cette époque, j’étais le seul artiste indépendant à avoir été choisi et j’étais opposé à deux studios Parisien et un studio Bordelais. On a parlé de ses recherches, d’animation et de narration dans une discussion d’une heure et demi arbitrée par Tiphaine.
Finalement, un mois plus tard, j’avais Philippe au téléphone qui m’annonçait que j’avais remporté l’appel d’offre et qu’on pouvait se mettre au travail. Dès le départ, deux choses étaient clair, nous ne faisions ni un clip, ni un film institutionnel classique. Alors avec le texte de son rap d’un côté et ses concepts scientifiques de l’autre, je me suis lancé dans le dessin du storyboard. La difficulté principale étant de donner vie à ses métaphores et de les articuler dans des mises en situations qui puissent s’enchaîner entre elles. En un peu moins de deux semaines, je suis arrivé à une première mouture très rough d’une centaine de pages – six cases chacune. Nous nous sommes alors rencontrés de nouveau début décembre cette fois accompagné de Colin – le compositeur du morceau – pour voir ensemble ce premier storyboard. Ce jour-là, il m’a fallu deux bonnes heures pour leur raconter le film de 8 minutes et la manière dont je l’imaginais bouger. Nous avons ensuite pris le reste de la journée pour valider des idées, décidé d’en creuser d’autres et en invalider certaines. Et voilà que je repartais en voiture pour étoffer le storyboard et l’amener à une 2nd version.
Début janvier, Kevin – le monteur son et mixeur du film – est descendu pour se joindre à Zoé et moi pour l’enregistrement des voix pour le morceau de musique du film. Nous avons passé la journée en studio pour enregistrer les voix de Philippe, Colin, Mathilde, Emily et Manon sur ce morceau de 8 minutes et 30 secondes. Une journée !!! Une journée pour enregistrer 5 voix sur un morceau de cette longueur, autant dire que c’était sportif. Heureusement, tout le monde a collaboré intelligemment, sachant s’écouter et tirer parti des commentaires critiques les uns des autres – et pour sortir le morceau qui compose aujourd’hui la bande son du film.
Fort de cet enregistrement qui allait contraindre la rythmique de la narration Zoé a commencé son travail sur le film avec le montage de l’animatique, tandis que j’emmenais gentiment le storyboard vers sa 3eme version – clean cette fois-ci. C’est sur cette période que nous avons également créé les designs des personnages et des décors du films. Fin février, 95% de l’animatique était validé, ainsi que les designs du film. Seules deux scènes nous résistaient encore – celle traitant de la rupture amoureuse et celle sur l’anorexie. Finalement, nous dûmes aller jusqu’à une 5eme version du storyboard/animatique avant d’être tous pleinement satisfait. Cette étape terminée, nous pouvions, Zoé et moi, nous lancer dans l’animation.
Le confinement et les difficultés rencontrés sur la production en cours à Xilam, on créer un démarrage difficile sur cette étape. Mais, travaillant le soir et les week-end dans un premier temps, puis à partir de mi-juillet à plein temps sur le film, nous avons trouvé notre rythme. La visite de Philippe à notre domicile pour voir la direction que prenait l’animation nous a confirmée que nous étions sur la bonne voie. Il n’y avait donc plus qu’à faire. Amené le dessin d’intention du storyboard vers un layout posing, ajouté les clés d’animation qu’il pouvait manquer, puis les breaks et les inters – bref, animer le film. Bien que courte à narrer, cette partie est la plus longue. Les heures défilant alors qu’on ne quittait plus nos stylet des mains. Quand nos écrans s’éteignaient, on pensait à ce qu’on allait modifier le lendemain, ce qu’on ferait mieux la prochaine fois, à certains heureux accidents et à comment rester efficace aussi. Car tout film possède, avant même de commencer, sa date de livraison. Il fallait donc faire en sorte de ne pas se perdre et rester dans les clous autant dans l’esthétique que dans la contrainte de temps. Et par dessus tout ne jamais perdre de vu le principal, ce que le film raconte.
Début septembre, l’animation de personnages se terminait, suivie de prêt par l’animation FX et le compositing et finalement, le 3 Octobre 2020, nous présentions le film terminé à Philippe et l’association Aria qui nous avaient suivi tout au long de sa création. Philippe a commencé aussitôt à utiliser le film auprès de ses patients en nous faisant à chaque fois des retours sur ce que le film avait permis d’accomplir en termes d’ouverture de discussion. Et enfin, le 3 Novembre 2020, le film a été rendu public sur youtube en accès libre et gratuit à tous après une diffusion en première lors d’une visio-conférence composée de médecins généralistes et psychologues.
Et maintenant, c’est au film de vivre sa vie et à nous de reprendre la nôtre…