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Vous avez dit antonomase ?

Publié le 10 août 2009 par Maxd

Une antonomase est une figure de style ou plus précisément un trope qui consiste à employer un nom propre pour un nom commun (diesel, Tartuffe, poubelle, par exemple), un nom commun ou une périphrase pour un nom propre (l’Île de Beauté pour la Corse, le Sauveur pour Jésus-Christ, tonton pour François Mitterrand) ou encore un nom propre pour un autre nom propre (Napoléon pour Nicolas Sarkozy).

Politiquement parlant, une des antonomases actuellement la plus tendance (avec la dernière citée entre parenthèses) est certainement le Grenelle (de…) dont on nous rebat les oreilles à satiété dès qu’il s’agit de réunir autour d’une table, pour une question d’importance nationale, des personnes aux opinions particulièrement tranchées et diamétralement opposées.

Car à côté -ou plutôt après- le Grenelle historique, le vrai, l’original dûment estampillé, qui correspond aux accords négociés et conclus pendant les événements de mai 1968 au siège du ministère du Travail situé dans les murs de l’Hôtel du Châtelet, rue de Grenelle à Paris, on trouve, réalisés, mort-nés ou vaguement en projet, un certain nombre de Canada Dry (tiens, une autre antonomase !) tels que le Grenelle de l’environnement, le Grenelle de l’insertion, le Grenelle de l’audiovisuel, le Grenelle de la santé sans oublier celui de la formation, rien que ça !

La première chose qui me dérange dans tous ces Grenelle de ceci ou de cela, c’est le genre. Oh non, pas le genre qu’un ministre se donne quand il décide de faire un nouveau Grenelle, croyant avoir inventé la poudre, ni le genre des différents participants, qu’ils soient en cols bleus, blancs ou roulés, encore moins le genre d’accord(s) que ces derniers devront douloureusement conclure dans un marathon (tiens, une autre antonomase !) des plus éprouvants. Non je veux parler du genre grammatical.

Pourquoi dit-on, en effet, LE Grenelle ? Puisqu’en 68 il s’agissait d’accords ou de négociations, n’eut-il pas été plus judicieux de dire LES Grenelle ? Sans doute ce pluriel manquait-il d’unité et faisait-il un peu désordre dans la « chienlit » soixante-huitarde, bref il sonnait mal aux oreilles pompidoliennes ou à celles de Jacques Chirac, lequel participa en personne à ces négociations multipartites, aussi fut-il décidé d’employer le singulier.

Mais alors pourquoi le masculin pour une négociation ou même à la rigueur la rue où se déroula la fameuse table ronde ? Il n’échappe à personne qu’on aurait dû dire LA Grenelle même si le mot sent quelque peu l’absinthe, la syphilis et la maison close. Car comment imaginer Dominique de Villepin proposer publiquement en 2001 de se faire la Grenelle de la formation, Martin Hirsch, avec son visage de séminariste, se réserver la Grenelle pour l’insertion et le premier ministre déclarer qu’il se ferait bien, pour la santé, une Grenelle en réunion dans un hôtel particulier parisien du 7ème arrondissement avec Roselyne Bachelot !

La deuxième chose qui me tracasse dans ces Grenelle en tout genre, c’est ce côté grand messe riche en symboles et fanfaronnades dont nous raffolons en France mais qui n’est pas forcément suivi de tous les effets escomptés : si les accords de mai 68, boudés par la base, ne furent jamais signés mais tacitement appliqués au moins pour le salaire minimum, le Grenelle de l’environnement, à entendre les écologistes, se serait passablement vidé de sa substance. Quant aux autres Grenelle, on en parle et on en cause mais, à ma connaissance, ils n’ont toujours pas vu le jour. De là à regretter qu’on n’ait pas organisé le Grenelle originel dans un bâtiment de la rue Eugène-Poubelle, il n’y a qu’un pas.

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Article publié dans les chroniques des abonnés du Monde.fr le 24 mars 2009

http://abonnes.lemonde.fr/opinions/chronique/2009/03/25/vous-avez-dit-antonomase_1172212_3232.html


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