J’ai eu plusieurs vie ici-bas.
Ce fut parfois au « détriment » de ceux qui eurent la leur tragiquement écourtée. Je préfère supposer qu’ils étaient arrivés au bout de leur chemin et qu’était venu pour eux le moment de s’en détourner et de me laisser me débrouiller seule avec celui qui m’attendait.
Il faut donc en déduire que je n’ai pas encore atteint le bout du mien, celui que nous devons tous emprunter en essayant de ne pas trop nous égarer, ni de préférer aux charmes des petites routes départementales, des raccourcis évitant de sombres sous-bois, mais nous privant de ces plateaux posés devant de sublimes horizons…
L’une après l’autre, mes vies ont nourri un destin intempérant et vorace. Telles des vagues grossissant à l’approche d’une tempête, ces raz de marées à répétition m’ont si violemment bousculée qu’il m’a fallut réussir à préserver tant bien que mal un semblant d’équilibre pour me tenir hors de l’eau sur ce radeau bringuebalant…
Fritz Lang affirmait qu’on n’en a point de prédestiné, que nous lui donnons la tournure de nos choix, ce que je crois en partie, je tempérerais ses propos en précisant que certains (choix) n’en sont pas et s’imposent plutôt, ce qui revient à envisager la définition d’une destinée en lui prêtant les qualités du hasard ou de la nécessité… (Vous avez quatre heures, c’est assez peu…)
J’ai voulu, en bonne maitresse de maison, dénicher un meuble à tiroirs dans lequel j’aurais pu dignement ranger toutes ces vies désordonnées, mais celui que j’avais choisi s’est vite avéré trop petit, les étiquettes soigneusement appliquées se décollaient, mes vies débordaient de tous les côtés et finissaient par se retrouver à nouveau enchevêtrées !
J’ai tout imaginé pour les contenir : des casiers dédiés, des cartons bien ficelés, mais tôt ou tard elles réussissaient à en soulever les couvercles, et les élastiques trop étirés, claquaient !
J’ai mis un certain nombre d’années à comprendre ce qu’elles tentaient de m’expliquer avant de se retrouver archivées ! Quand je les ai enfin laissé parler, en prenant la peine de bien les écouter, quand surtout, j’ai trouvé le courage de les regarder bien droit dans les yeux, je me suis rendue compte que j’avais fourni tous ces efforts en vain…
Tout ne peut être bien rangé dans des armoires. Toutes mes vies, en réalité, s’accordaient à merveille, l’une n’aurait pas été sans l’autre, aucune d’elles ne pouvaient être enfermées ou ficelées, rien ne devait abréger leurs leçons, ni m’encourager à n’envisager mes odyssées que par le petit bout de la lorgnette.
Alors j’ai remisé le meuble à tiroirs et renoncé aux étiquettes ! Maintenant je promène avec moi toutes mes vies dans un chouette sac à dos où je pioche presque chaque jour des suggestions qui pourraient enrichir ma vie d’aujourd’hui.
Toutes ont eu leur raison d’être, bien sotte serais-je de me priver de leur fidèle et tendre connivence…