La nuit est riche de son silence

Publié le 24 juillet 2008 par Laurent Matignon

Semaine du 16 juin 2003
Avec le Vastarel ma tuyauterie est de nouveau sous pression. Je sens le bouillonnement perpétuel des vaisseaux dans mon crâne et des morceaux de cerveaux qui vibrent selon l’heure et le jour. Tiens ce soir c’est l’hémisphère droit qui est tout excité, que lui arrive-t-il ? Il frétille, il a dû passer une excellente journée !
Un rayon laser jaillit de mon oreille droite, celle qui a vu ses petites cillées souffrir et pour certaines disparaître, le soir du 14 avril. Un « schhhhhhhhhh » perpétuel et oppressant habille les sifflements et il semble que des bouts de peau, là-bas tout au fond de moi, sont constamment en train de tomber, de se détacher des parois de mes conduits auditifs.
Tout cela n’a aucun sens ! Je ne comprends plus rien du monde qui m’entoure, je ne comprends pas plus les sensations que me renvoie mon cerveau.
Une seule certitude : cela fait un boucan du tonnerre de Zeus et mal à s’en couper le pavillon !
Tel un enfant qui vient de s’écorcher le genou lors d’un périlleux saute-mouton dans la cour de récréation, je porte ma main à mon oreille, peut-être pour me rassurer sur la consistance physique de cette plaie insondable, sans doute également dans l’espoir un peu vain d’atténuer ma souffrance. La première tentative a été riche d’enseignements : un simple effleurement s’est aussitôt traduit par une décharge électrique qui m’a transpercé le crâne de part en part, une douleur telle que je n’en avais jamais connu !
En bon disciple de Pavlov j’ai aussitôt écarté mes doigts de l’interrupteur.
J’ai toujours été un oiseau de nuit. Pas un de ces crétins écervelés qui passent leurs soirées de semaine en discothèque et poussent en after lorsque se profile le week-end : j’ai toujours aimé la nuit, parce qu’elle représente tout ce que j’aime en mon for intérieur. La nuit, où que l’on se trouve sur cette planète, on éprouve cette sensation unique d’être le seul être humain éveillé, quelque part le seul être humain vivant : on vit quelque chose que les autres ne vivent pas,.. occupés qu’ils sont à dormir.
La nuit est le moment idéal pour penser au jour.
C’est lorsque j’allais me coucher que j’avais l’habitude, depuis ma plus tendre enfance, de repenser à la journée qui venait de s’écouler tout en humant l’air doux de la chambre et la fraîcheur de mes draps. C’est lorsque j’aillais me coucher que je préparais parfois la journée du lendemain.
La nuit, c’est un lien privilégié, un instant précieux où, chaque jour, nous est donné d’assurer la continuité du temps.
Ce n’est déjà plus hier et pas encore demain.
La nuit, dans ma Provence natale, j’écoutais les grillons, les crapauds, les mouettes couche-très-tard ou lève-très-tôt, la voiture du voisin qui partait en soirée, le scooter de son môme qui rentrait d’un bain de minuit improvisé. La nuit je m’amusais à repérer chaque bruit dans la maison endormie et à en deviner leur origine, leur sens et leur non-sens, je visualisais l’objet et son emplacement exact : tiens le bois de l’escalier travaille ; j’entends la troisième marche qui craque un peu ; le chat est dans la cuisine et il se remplit la panse de boisson lactée.
J’ai toujours mis beaucoup de temps à m’endormir, ce que vous aurez aisément deviné à la lecture des quelques lignes précédentes. Mais autant je pouvais m’accommoder sans grand dommage de sources lumineuses dans ma chambre, autant le moindre bruit rendait inutile toute tentative d’endormissement. Il suffisait d’une montre posée à un mètre cinquante de ma tête de lit pour que la nuit soit gâchée. Il me fallait repousser aussi loin que possible l’outrecuidante. Je me souviens encore avec amusement comment il m’était arrivé d’enfermer de tels objets dans des boîtes hermétiques et de les enfouir au fond d’un tiroir, sous un drap. Il en était de même pour les appareils électriques. Le ronflement perpétuel des transformateurs m’était odieux ! Mon bricoleur de père avait trafiqué un interrupteur sur le cordon d’alimentation de ma chaîne stéréo – celle-ci ne pouvait originellement que se mettre en veille –, sinon il m’aurait été impossible de dormir avec elle à proximité... Je n’ai d’ailleurs jamais compris ceux qui s’endorment en musique, pour certains avec le casque sur les oreilles : la musique cela ne s’entend pas, cela s’écoute ; j’ai bien trop de respect pour elle !
La nuit est riche de son absence, de son manque, de son silence.
La nuit est le négatif du jour. Et en cela un tout autre monde à découvrir.
La nuit me manque.
(Dans le silence de la nuit, la lune est si belle... nous fait remarquer Inuysan sur son blog, et de l'illustrer d'un poème que je retranscris ci-après :)
Clair de Lune
Comme toi qui déplores "un jour de revoir le printemps",
Dans le silence de la nuit sous un Clair de Lune étoilé,
Mes yeux se sont fermés comme les portes de mon coeur.
Me nourrissant de ces moments qui n'appartiennent qu'à moi,
Mon esprit fusionne avec cet univers sans fin,
Inspiré par son calme et ce ciel qui n'est jamais gris.
Ma plume court comme des notes de musiques
Sur les cordes de ma vie enflammées.
Elle coule sans restriction comme des larmes de poison
Qui finiront par plonger dans cet océan d'encre noire.
Comme toi qui déplores "un jour de revoir le printemps",
Dans le silence de la nuit sous un Clair de Lune étoilé,
Mes yeux se sont fermés comme les portes de mon coeur.
En espérant un jour apercevoir poindre l'aurore,
Et que mon âme puisse enfin renaître de ses cendres,
Ouvrant la porte sur un soleil éblouissant...
Tu ne peux franchir ce mur, emprisonné de ta douleur
Alors tu dessines des oiseaux et en silence tu imagines,
Qu'ils te porteront sur leurs ailes à travers ces frontières,
Vers des cieux resplendissants, te libérant de ces tourments...
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