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Métissages d’hier et d’aujourd'hui

Publié le 19 juillet 2008 par Fuligineuse

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J’ai visité in extremis – étant donné qu’elle se termine le 19 juillet – l’exposition du Musée du Quai Branly intitulée « Planète Métisse ». Chaque fois que je vais à ce musée, c’est un peu le même scénario : je pars pleine d’enthousiasme et sur place je déchante. Non pas que la matière présentée manque de qualité ou de pertinence, mais en raison de la façon dont elle est présentée. Cette fois, l’exposition (de taille limitée) se tenait à l’étage supérieur du musée, dans un espace particulièrement étroit et contourné, où l’éclairage était si indigent (en plein jour) que j’ai craint de faire une chute (je suis douée pour chuter, et il n’est pas nécessaire de m’aider). Je mentionne seulement pour mémoire les cartouches de légendes placés parfois si bas qu’il faut quasiment ramper pour les déchiffrer, ce qui s’avère en outre difficile du fait des couleurs employées pour les inscriptions (gris sur gris ?)

Maintenant que j’ai déversé ma bile noire, je peux parler du sujet. En exergue à l’expo, une phrase de Montaigne : « Un honnête homme, c’est un homme mêlé. » Certes, et inversement il n’y a pas loin de l’exigence de pureté à la purification ethnique. Il y a bien longtemps que notre monde est métissé, n’en déplaise à certains, et cela ne fait que croître et embellir. L’ère de la mondialisation ne date pas d’hier, elle a commencé dès la découverte de l’Amérique et le tour du monde de Magellan.

Un objet emblématique du métissage : le Codex Borbonicus, prêté à l’exposition par la Bibliothèque de l’Assemblée Nationale qui le possède. Il s’agit d’un calendrier divinatoire aztèque, mais la présence d’éléments européens dans sa conception (quadrillages, légendes en espagnol…) en fait un objet métis et colonial. (Il est analysé en détail dans une excellente vidéo.)

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 Page 13 du Codex Borbonicus – Image Wikipedia

 
De nombreuses pièces exposées proviennent du Mexique colonial, la Nouvelle-Espagne comme on disait à l’époque. A l’évidence, « Planète Métisse » a bénéficié de la connaissance approfondie du Mexique détenue par le commissaire de cette exposition, Serge Gruzinski. On y voit aussi par exemple des tableaux peints au Mexique au 18e siècle et appelés « Cuadros de Casta » illustrant les différents types de métissage humain, chaque degré de métissage portant un nom particulier. Ou encore la Messe de St Grégoire (Mexique, 1539) – une gravure recouverte de plumes (le travail des plumassiers est représenté dans le Codex de Florence, évoqué dans une vidéo). La plume constituait un matériau précieux dans le monde précolombien, représentant la matérialisation du rayonnement divin.

La religion est devenue un vecteur majeur de métissage avec la christianisation des pays colonisés. Le syncrétisme s’est imposé. Thème chrétien, technique locale. Ainsi de la gravure précitée, ou encore de cet autel portatif (fin 16e) en bois laqué incrusté de nacre, provenant d’un pays asiatique. A l’inverse l’art européen s’est emparé des matériaux et des motifs « exotiques » des pays conquis. Exemple, un plat d’argent doré portugais (également fin 16e), orné d’un décor africain : palmiers, éléphants, chasseurs indigènes.

L’exposition développe également comment le métissage a affecté les formes du pouvoir colonial, dont la mise en place s’est souvent appuyée sur les structures locales existantes.

On voit bien à travers tous ces exemples que la perspective choisie a surtout été d’ordre historique – ce qui n’est pas sans intérêt, loin de là. Mais les formes actuelles du métissage ne sont qu’esquissées, à travers des évocations de la « musique métisse » (afro-brésilienne par exemple) ou les allers-retours de thèmes cinématographiques entre les pays asiatiques, les USA, l’Italie. J’aurais préféré que les proportions soient renversées pour donner une plus large place à ces images actuelles du métissage. Mais cela aurait sans doute abouti à une autre exposition.

 Fuligineuse

 PS du 21/7/08. J'ai oublié de dire que le catalogue est absolument superbe.


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