Roland Chopard | [L’œil réécrit constamment ce qui défile]

Publié le 09 janvier 2021 par Angèle Paoli

[L'ŒIL RÉÉCRIT CONSTAMMENT CE QUI DÉFILE]

L' œil réécrit constamment ce qui défile, d'une manière ouverte. Jusqu'à satiété. Jusqu'à l'oubli. C'est une initiative essentielle qui permet de perdre les premiers sens venus pour en acquérir d'autres.

Un souffle mime cette réalité intérieure qui s'épanouit au centre de la blancheur spatiale. De la blancheur naît une nouvelle impulsion qui stimule les sens, donne du baume à l'esprit.

Ces mots qui se sont imposés sont des certitudes inconscientes qui désemparent l'œil, mais en même temps stimulent les curiosités et les aspirations.

Comme s'il était obligé, tout en gardant de multiples sous-entendus, de mettre en rapport ces vestiges de la conscience avec les impulsions qui se cherchent et s'enchevêtrent constamment.

Il a même besoin, en plus d'une croyance naïve en la régénérescence de matériaux par une spontanéité encore vivace, d'une persévérance extraordinaire pour qu'il devienne peu à peu quasiment la matière même de ces méandres.

Les longues séquences de pauses volontaires ou non ne ternissent finalement pas cette nécessité de se fondre inéluctablement dans un parcours aussi ondulant.

Comme s'il voulait peu à peu faire oublier toutes les hésitations, les balbutiements de l'écriture, il tente de combiner, avec son étroitesse d'esprit caractéristique et les carences de sa mémoire, mais du mieux qu'il est capable, les quelques obsessions qui le tourmentent continuellement.

Ce n'est pas une question de maîtrise - il n'est pas plus assuré que vous de ce qui est là -, il voudrait seulement découvrir comment le long processus souterrain est parvenu, par des étapes provisoires, à un état définitif.

Par ses constantes circonvolutions, l'œil suit un processus, il agit. Si fine soit-elle, sa perception demeure toujours aussi trompeuse puisque son parcours n'est jamais uniquement linéaire, et qu'il faudra toujours circuler et revenir sur les traces.

L'œil n'a pas d'histoire mais il n'est pas dépourvu de résolutions. S'il intervient dans un lieu qu'il croit connaître, en l'arpentant, il se faufile malicieusement dans les lignes pour les altérer. [...]

Roland Chopard, " Cinquième méditation ", Parmi les méandres, Cinq méditations d'écriture, L'Atelier du Grand Tétras, Collection Écriture, 2020, pp. 77-78. Avec trois illustrations de l'auteur. Postface de Claude Louis-Combet.