[MON ENFANCE] m on enfance a quelques nids entre les côtes
où s'essouffle la plèvre et le vent qui pourchasse
enfance qui respire mais ne passe pas
l'enfant en grandissant
porte son enfance dans la bouche des morts
les soirées tricotent la solitude de ma mère
à points jacquards ou irlandais la féminité soumise
avec le patchwork des contes charmants
les poignets d'Ariane emprisonnés par la laine brute
enfance à trous mailles relâchées tricots à nœuds
la mémoire s'applique à compter à l'envers
l'enfance dévore ses traces lèche ses blessures
dauphine sans nom lèvres cousues
fait son lit dans les ajoncs près d'un feu de broussailles
enfance transmise par rites solaires et chemins déroulés
(petits pieds foulant la terre où pleurent les grand-mères)
la route obscure et détraquée les faux pas comme un seul
les déroutes les arrêts la main qui guide
reconnaître les jalons petites rues vides fenêtres gelées
l'œil bien ouvert
les pierres seules apaisent l'éclat soudain de la déchirure
Luce Guilbaud, Où la chambre d'enfant, éditions Tarabuste, Collection DOUTE B.A.T., 2020, pp. 62-63.